Les restaurants apportez votre vin deviennent-ils l’option privilégiée par les consommateurs en temps de crise ? Fort populaires dans les années 1980, où ils se sont multipliés en raison de la récession, ils pourraient bien faire le plein de nouveaux clients cette année.

Commander un verre de vin ou une bouteille pour accompagner son repas augmente considérablement la facture des consommateurs, dont plusieurs ne digèrent plus les additions de plus en plus salées. Dans ce contexte, ils pourraient donc être plus nombreux cette année à changer de table en fréquentant davantage des établissements apportez votre vin, croient les restaurateurs interrogés.

« On est dans un créneau où quand les gens ont un peu moins d’argent, ils viennent nous voir », affirme Noé Lainesse, chef propriétaire du restaurant O’Thym à Montréal.

« Actuellement, c’est probablement l’une des avenues à explorer pour les restaurateurs », croit pour sa part Christian Latour, professeur de gestion du Collège Mérici, à Québec.

Alors que beaucoup d’exploitants vivent des moments difficiles, notamment en raison d’une diminution de la clientèle, de la hausse du prix des denrées et des loyers, ou encore parce qu’ils doivent, d’ici le 18 janvier, rembourser le prêt consenti par le gouvernement fédéral pendant la pandémie, M. Lainesse constate pour sa part que son établissement ne vit pas « une énorme baisse ».

Après avoir consulté la carte de certains restaurants, La Presse a pu constater – comme le font la plupart des consommateurs qui mangent au restaurant – qu’un verre de Joel Gott, un sauvignon blanc californien, par exemple, se vendait 13,50 $ alors qu’il en coûte 21,95 $ pour une bouteille à la SAQ. Au restaurant, cette même bouteille est affichée à 52 $. Une bouteille de Kim Crawford, un chardonnay de la Nouvelle-Zélande, peut coûter 53 $ au restaurant alors qu’elle est vendue à 20,95 $ sur les rayons de la SAQ.

« C’est sûr qu’en ce moment, avec le contexte économique et l’augmentation des prix, payer 25 $ pour un verre de vin, ça fait mal aux gens », mentionne Benjamin De Châteauneuf, propriétaire du restaurant Le Marlow à Longueuil.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Benjamin De Chateauneuf, propriétaire du restaurant Le Marlow

Oui, les consommateurs vont clairement se tourner vers les apportez son vin ou ils vont acheter une bouteille au même prix qu’un verre de vin vendu ailleurs. En plus, ils peuvent choisir le produit qu’ils aiment, au lieu de miser sur un vin qu’ils n’ont jamais goûté, qui ne fera pas leur affaire, mais qu’ils vont prendre quand même.

Benjamin De Châteauneuf, propriétaire du restaurant Le Marlow à Longueuil

M. De Châteauneuf mise d’ailleurs sur cet atout pour attirer des clients dans sa salle à manger où il offre une cuisine notamment composée de pavés de saumon, de joues de bœuf braisé ou encore de carpaccios de pétoncles. « Notre resto apportez votre vin est une option intéressante pour les clients du Marlow, car ils peuvent apporter leur propre bouteille de vin ou leur bière et éviter de payer des prix exorbitants en alcool », peut-on lire sur la page d’accueil de son site web.

« Si on va au restaurant, c’est pour bien manger, avant de bien boire », ajoute-t-il en entrevue.

À Saint-Jean-sur-Richelieu, où il est propriétaire d’un restaurant Au Vieux Duluth depuis 33 ans, Pedro Marques affirme qu’il a connu en 2023 son meilleur mois de décembre « à vie ». Il a noté une augmentation de ses ventes se situant entre 10 % et 15 % par rapport à la même période en 2022, un mois qu’il avait alors jugé « très bon ».

« Les gens savent compter, dit-il. Je pense que les restaurants apportez votre vin sont ceux qui vont souffrir le moins cette année. On va se retrouver avec une clientèle qui allait peut-être auparavant dans des restaurants un peu plus coûteux. »

Est-ce rentable ?

Sachant que la vente de cocktails, de bières en fût et de vin permet aux restaurateurs d’avoir une meilleure marge de profit, le concept apportez votre vin est-il viable ? Oui, répondent les principaux intéressés. « C’est sûr qu’il faut faire du volume, souligne toutefois le chef propriétaire de chez O’Thym. Si tu ne remplis pas ta salle, ça devient très difficile. On vend juste de la nourriture, donc notre marge est juste sur la nourriture. »

En contrepartie, il n’a pas besoin de tenir de l’alcool, ce qui lui évite de penser à la réfrigération. Il gagne également de l’espace. Et il a besoin de moins d’employés, affirme-t-il.

Et ceux qui croient que les assiettes des restaurants apportez votre vin sont systématiquement plus chères, il s’agit d’un mythe, selon Benjamin De Châteauneuf. « Je m’en tire avec beaucoup plus de profits nets parce que je transforme tout de A à Z. Je vais me commander un demi-cochon et je vais le dépecer. Ma matière première est beaucoup moins chère. »

Une industrie stable

Pour le moment toutefois, le Québec n’assiste pas à une hausse phénoménale du nombre d’établissements où les clients s’attablent avec une bouteille qu’ils ont préalablement achetée. « La croissance est somme toute minimale », soutient Martin Vézina, vice-président, affaires publiques et gouvernementales, de l’Association Restauration Québec (ARQ).

Il est toutefois difficile de trouver des chiffres précis. En 2013-2014, la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) a accordé 1698 permis à ce type d’établissement contre 9587 pour les restaurants vendant de l’alcool. Le nombre de permis délivrés pour des apportez votre vin est passé à 1744 en 2016-2017. Par la suite, la façon de comptabiliser a changé, et un titulaire de restaurant qui a plusieurs salles à manger peut désormais payer un seul permis pour l’ensemble de son établissement, au lieu de le faire pour chaque salle comme c’était le cas avant. De plus, en raison de « modifications » apportées à son système informatique, la RACJ n’était pas en mesure – dans un délai de 48 heures – de fournir les données entre 2019 et 2023. Impossible aussi d’avoir des chiffres pour les années 1980 et 1990.

Le besoin est là

Malgré tout, Christian Latour, du Collège Mérici, croit que le besoin est là et que l’ouverture de ce genre d’établissement est « une avenue à explorer ».

« Les gens veulent encore aller au restaurant. C’est juste qu’il y a des limites économiques qui font que la fréquence a diminué.

« Si un restaurant réussit à me préparer une cuisine que je ne peux pas me faire à la maison et à m’offrir la possibilité d’apporter mon vin, c’est sûr que je deviens client. »

Difficile de savoir si l’on assistera à une augmentation du nombre de restaurants apportez votre vin au cours de la prochaine année. M. Vézina ne serait toutefois pas étonné de voir certains établissements qui tiennent de l’alcool faire des offres où ils vendent à l’occasion leur vin au prix de la SAQ…