Dans chaque entreprise se cache au moins un employé qui se distingue tant par son efficacité que par l’appui qu’il offre à ses collègues ou l’appréciation des clients. La Presse vous a demandé d’identifier cet employé dans votre entourage. Nous vous présenterons leur histoire.

« Je me le rappellerai tout le temps ! »

C’était au printemps 2010. Ann-Marie Pigeon, copropriétaire et alors directrice générale du groupe de résidences en ressources intermédiaires (RI) Lumain, cherchait une coordonnatrice pour le nouvel établissement pour 40 résidants qu’elle s’apprêtait à ouvrir.

« Elle est entrée dans mon bureau, j’ai vu son CV, et je me suis dit : ‟Ça n’a pas rapport, elle vend des voyages !” »

Lucie Goudreault, au tournant de la cinquantaine, venait du secteur du tourisme et ne connaissait rien aux aînés en perte d’autonomie. Mais ce que son CV ne montrait pas, sa présence l’exprimait avec éloquence.

« Elle dégageait tellement de bonté, tellement de bienveillance ! »

Ann-Marie Pigeon l’a engagée, bien sûr. « Je suis une fille assez instinctive », dit-elle.

Elle ne l’a jamais regretté.

Durant huit semaines, Lucie Goudreault a suivi Ann-Marie Pigeon – « comme mon ombre » – pendant que celle-ci organisait les effectifs, rencontrait les familles et accueillait les résidants du nouvel établissement.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Lucie Goudreault, directrice générale adjointe, Groupe Lumain

« À la première rencontre qu’on a faite ensemble avec l’infirmière et le médecin, elle était assise en arrière, sur une chaise, et elle ne comprenait rien du jargon. »

Ann-Marie l’a invitée à avancer sa chaise et à ne pas hésiter à poser des questions.

Lucie n’avait pas que l’intelligence du cœur. Elle a appris. Et vite.

« Au bout de huit semaines, elle dirigeait la résidence. Et pas longtemps après, on a eu un gros contrat à Laval pour ouvrir une RI de 150 résidants. Moi et mes deux associés, on l’a nommée directrice. C’est elle qui a tout supervisé l’ouverture, l’embauche des employés, l’accueil des 150 résidants. »

Lucie dirigeait la résidence La Luciole.

Lucie, comme luciole, du latin lux : lumière.

Elle a eu un parcours en essayant toujours de faire briller les autres plutôt que de briller elle-même.

Ann-Marie Pigeon, copropriétaire du Groupe Lumain

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Lucie Goudreault, directrice adjointe, Groupe Lumain. avec Ann-Marie Pigeon

Lucie a apprivoisé le contexte administratif, a compris les enjeux sociaux, s’est familiarisée avec les maladies cognitives.

Puis elle a été nommée directrice générale adjointe du groupe de huit résidences et 700 employés. Un milieu où la variété des enjeux sollicite la polyvalence la plus dévouée.

« Elle pouvait autant discuter avec les directeurs de CISSS, rencontrer des familles que changer des culottes. Il n’y a pas une tâche qui la rebutait ou qu’elle trouvait moins importante qu’une autre. »

Et c’est ainsi qu’avec douceur et compassion, mais sans compromis, « elle est devenue quelqu’un d’aimé de tous. Elle entre dans une résidence, surtout celles où elle était le plus souvent sur place, et les gens qui ont des démences la reconnaissent. Et ça, ce n’est pas rien ! »

Durant ma vie et ma carrière, mon parcours et mes voyages, j’ai rencontré beaucoup d’êtres humains extraordinaires, mais jamais je n’ai rencontré quelqu’un d’aussi dédié, engagé, humble, avec une écoute et une sensibilité aussi peu communes. Jamais je n’ai rencontré quelqu’un comme Lucie.

Ann-Marie Pigeon, copropriétaire du Groupe Lumain

L’ouragan

En 2020, les deux femmes ont traversé l’ouragan de la COVID-19, qui a particulièrement secoué un des établissements du groupe.

Pendant qu’Ann-Marie installait son intendance et son matelas dans la résidence confinée, Lucie l’a relayée à la direction générale.

« C’est elle qui a tout pris en charge pendant que moi, je me consacrais à changer des culottes, donner des douches et tenir la main des gens qui mouraient. »

Et le temps a filé.

Lucie Goudreault a récemment pris sa retraite – ce qui ne l’empêche pas de revenir donner un coup de main à l’occasion. À la mi-novembre, encore, elle a aidé à distribuer des médicaments en relève d’une préposée absente.

Ann-Marie Pigeon se remémore-t-elle un moment particulier qui témoigne de ses qualités, comme la fois où Lucie a… ?

Long, très long silence…

Puis, d’une voix étranglée : « La fois où Lucie est venue me voir après la COVID pour me dire que je n’étais plus capable de fonctionner et qu’il fallait que je prenne un arrêt. »

Ann-Marie vivait l’équivalent d’un choc post-traumatique.

« Elle est venue à la maison, elle m’a pris la main, puis elle m’a dit : ‟ça ne marche pas”. J’ai trouvé qu’elle avait eu beaucoup de courage de faire ça. »

« Mais il y a eu plein de beaux moments ! », s’amende-t-elle aussitôt.

« Là, je pleure, mais je ne pleure pas tout le temps ! », dit-elle avec un sourire dans la voix, avant d’ajouter un dernier chapitre à l’histoire.

Au printemps dernier, elles se sont rendues à Saint-Hyacinthe pour soutenir une employée de longue date en phase terminale de cancer. « On l’a veillée toute la nuit. Lucie était avec elle quand elle est décédée le lendemain. Ça, c’est Lucie. Toujours là pour tout le monde. »

Les gens d’exception tels que Lucie passent souvent sous le radar parce qu’ils ne sont pas enclins à se mettre de l’avant.

Ann-Marie Pigeon, copropriétaire du Groupe Lumain