Québec ferme l’enquête sur son sous-ministre Stéphane Le Bouyonnec, qui a déclaré à La Presse avoir toujours des liens avec une entreprise de prêts à hauts taux d’intérêt. Le ministère du premier ministre se satisfait d’une déclaration sous serment où il affirme au gouvernement l’inverse de ce qu’il avait déclaré à notre journaliste et à des actionnaires de Finabanx.

« Après analyse des faits recueillis, il appert que celui-ci ne détient plus aucun lien ni aucun intérêt de quelque nature que ce soit dans Finabanx, et ce, depuis la vente de toutes ses actions dans l’entreprise à un tiers, le 1er octobre 2019 », mentionne une lettre de la secrétaire générale associée aux emplois supérieurs, Brigitte Pelletier. « Les contrats de vente soumis par M. Le Bouyonnec, ainsi que la déclaration assermentée qu’il a produite à cette fin, témoignent de cette réalité. »

En entrevue, Stéphane Le Bouyonnec affirmait pourtant l’inverse, le 28 novembre, expliquant espérer un paiement futur malgré la cession de ses actions au chef de la direction financière de l’entreprise1.

« J’ai tout simplement cédé pour 1 $ toute cette histoire-là, et si jamais il y avait des considérations futures, disons ça comme ça, il y aurait éventuellement de l’argent qui revenait, bien là, j’aurais un retour », disait-il.

Il a ajouté qu’il aimerait, « éventuellement », récupérer « la valeur nominale » de son investissement, soit ce qu’il a investi dans Finabanx avant de « vendre » ses actions : 500 000 $.

Dans un courriel à un actionnaire de Finabanx en février 2021 et déposé en cour, Stéphane Le Bouyonnec expliquait aussi avoir dû « céder » ses actions à cause de « [s]a job », mais que son « risque demeure a [sic] 100 % pour 500k [500 000 $] ».

« Diverses interprétations », dit le ministère de Legault

Le sous-ministre a fourni des explications contraires à son patron.

« Les explications que M. Le Bouyonnec a données au journaliste de La Presse, ainsi que le contenu de certains courriels qu’il a échangés avec les actionnaires au-delà du 1er octobre 2019, peuvent donner lieu à diverses interprétations et laisser croire qu’il maintient toujours des liens ou des intérêts financiers dans l’entreprise Finabanx. À ce chapitre, M. Le Bouyonnec reconnaît que ses explications auraient nécessité des mises en contexte afin de nuancer certains éléments rapportés dans les médias, d’où sa déclaration assermentée », écrit la secrétaire générale associée.

La Presse a contacté le ministère du Conseil exécutif – qui relève de François Legault – pour savoir comment il interprétait les termes qu’a utilisés le sous-ministre avec le quotidien, soit « considérations futures », « retour » et « valeur nominale ». Le gouvernement n’a pas répondu.

« Il a été confirmé qu’aucune entente implicite n’existe entre M. Le Bouyonnec et le tiers acheteur. De plus, M. Le Bouyonnec a fait une déclaration sous serment à cet effet », a simplement déclaré Jessica Leblanc, porte-parole du Ministère.

Le ministère du Conseil exécutif a transmis à La Presse la déclaration sous serment en question. Le sous-ministre y affirme avoir vendu ses actions de l’entreprise contrôlant Finabanx « au comptant, sans solde de prix de vente ni de considération différée ou payable dans le futur ni autre considération ou contrepartie similaire », contrairement à ce qu’il affirmait le 28 novembre.

Sa déclaration sous serment ne mentionne cependant pas à quel prix. Stéphane Le Bouyonnec avait déclaré à La Presse qu’il les avait « cédées pour 1 $ ».

Même avocat qu’un actionnaire de Finabanx

Le 7 décembre, La Presse se penchait sur les liens entre Stéphane Le Bouyonnec et Finabanx et révélait qu’il est impliqué dans un litige entre les actionnaires de l’entreprise. La présidente Esther Ross lui reproche de participer à une tentative de prise de contrôle illégale contre elle.

Pour se défendre, Stéphane Le Bouyonnec a fait appel, au moins jusqu’en mai 2022, à Me Karim Renno, selon l’acte de représentation déposé en cour. C’est aussi l’avocat de Frédérique Peter Boucher, actionnaire ayant déposé une poursuite contre Esther Ross.

Dans le cadre de ce conflit, Stéphane le Bouyonnec a déjà dû s’expliquer, en interrogatoire hors cour, sur sa gestion de l’entreprise comme dirigeant, jusqu’en 2020.

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Frédérique Peter Boucher, qui a intenté le recours contre Finabanx, a le même avocat que Stéphane Le Bouyonnec.

La Presse a tenté à nouveau de le joindre pour comprendre les contradictions entre ses déclarations à notre journaliste et celles qu’il a fournies au gouvernement. Sans succès.

Même chose du côté de Frédérique Peter Boucher, l’ex-chef de la direction financière de Finabanx qui aurait racheté ses actions : il n’a pas répondu à notre appel ni à un message texte.

L’opposition a demandé une enquête

Le Parti libéral du Québec avait réclamé une enquête sur les liens entre Finabanx et Stéphane Le Bouyonnec, nommé sous-ministre en octobre dernier, et demandait sa suspension, à la suite de l’enquête de La Presse.

En interrogatoire hors cour en 2021, Stéphane Le Bouyonnec a déjà dû s’expliquer sur des paiements douteux que l’entreprise aurait faits, selon le témoignage d’un ancien haut dirigeant, pour rembourser une dette de ses partenaires au crime organisé.

La Presse mentionnait également que Stéphane Le Bouyonnec se présentait comme « chairman of the board » (« président du conseil d’administration ») auprès des autres investisseurs, alors que l’entreprise n’a jamais eu de conseil d’administration.

1. Lisez « Toujours un intérêt dans l’entreprise » Lisez notre enquête « Un ex-poids lourd de la CAQ rattrapé par des enjeux éthiques »
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  • 391 %
    Intérêt annualisé à payer sur un prêt de deux semaines par iCash, le site internet de Finabanx. Les intérêts sont toujours de 15 %, peu importe la durée du prêt. Le taux annualisé minimum est de 87 %.
    Source : icash.ca