Des retards, des détours et des factures imprévues… la perte d’une autre voie sur le pont de l’Île-aux-Tourtes pour de « six à huit semaines » est une nouvelle tuile pour les entreprises de camionnage, qui peinaient déjà à entrer dans l’île de Montréal et en sortir.

L’industrie est déjà habituée aux plans B à cause de la multiplication des entraves routières aux quatre coins de la métropole. Néanmoins, la restriction en vigueur depuis le 1er décembre dernier sur la structure reliant Montréal à Vaudreuil-Dorion n’a pas tardé à avoir des répercussions chez certains transporteurs. Il n’y a plus qu’une seule voie par direction.

« Certains de nos chauffeurs ont habituellement le temps d’effectuer l’aller-retour entre Montréal et la région de Toronto la même journée, raconte Alexandra Bieganska, responsable des ressources humaines, de la sécurité et de la conformité chez Nour Transport. Mardi, un de nos conducteurs est resté coincé à Pincourt parce qu’il avait perdu trop de temps dans le trafic. Il avait atteint le nombre maximal d’heures qu’il pouvait conduire dans une journée. »

Résultat : le spécialiste du transport réfrigéré de semi-remorques a dû envoyer un autre chauffeur prendre la relève pour terminer le trajet et offrir au conducteur coincé un véhicule pour rentrer chez lui.

En soirée, lundi, un bouchon d’environ huit kilomètres, dans lequel les camions se comptaient par dizaines, paralysait la circulation en direction ouest (pour sortir de Montréal), a constaté La Presse.

« Ça s’est légèrement amélioré [la circulation] depuis, mais ce sont des dépenses supplémentaires (kilométrage et carburant) pour nous, laisse tomber Mme Bieganska. On mobilise une autre personne et on perd du temps. Faire l’aller-retour entre Montréal et Toronto la même journée, ça devient de plus en plus difficile pour nos chauffeurs. »

Fin de vie

Selon les plus récentes données disponibles du ministère des Transports du Québec (MTQ), près de 87 000 véhicules, dont quelque 10 000 camions, empruntent quotidiennement le pont de l’Île-aux-Tourtes dans les deux sens. Inaugurée en 1965, la structure arrive en fin de vie utile et accumule les problèmes de structure depuis quelques années.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Il n’y a plus qu’une seule voie par direction sur le pont de l’Île-aux-Tourtes.

Le plus récent retranchement de voie sur l’ouvrage s’ajoute aux autres restrictions – comme la réfection du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine et les travaux de maintien du pont Mercier – qui compliquent les allées et venues à Montréal. Mercredi, le cabinet de la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, a fait savoir que la situation actuelle devrait s’étirer pendant de « six à huit semaines ».

Peu d’options s’offrent aux camionneurs qui empruntent habituellement le pont de l’Île-aux-Tourtes : prendre leur mal en patience dans les bouchons de circulation, effectuer un détour par l’autoroute 30 – dont le péage est gratuit – ou se tourner vers l’autoroute 20, qui devient un boulevard urbain à la hauteur de Vaudreuil-Dorion.

« Quand ce n’est pas ce pont-là qui est fermé, ce sont les autres, lance à la blague le vice-président des ventes de Trans-West, Pascal Gaudet. C’est la réalité. »

Dans l’industrie, nos coûts sont calculés au kilomètre. Chaque détour coûte quelque chose et use les pneus, demande plus de carburant et rallonge les quarts de travail des chauffeurs.

Pascal Gaudet, vice-président des ventes de Trans-West

L’entreprise établie à Lachine, dont les camions effectuent des allers-retours vers la côte ouest des États-Unis pour transporter des produits réfrigérés, estime avoir de la flexibilité puisqu’elle se spécialise dans les trajets de plus longue distance. Elle peut planifier les départs et les arrivées de ses poids lourds à l’extérieur des heures de pointe, ce qu’elle tente de faire le plus possible, dit M. Gaudet.

Peu d’options

D’autres entreprises n’ont pas cette latitude. Un des « bons clients » de Groupe Lafrance, dont le quartier général se trouve rue Notre-Dame Est, se trouve à Vaudreuil.

« Je n’ai pas le choix de passer par ce pont-là [de l’Île-aux-Tourtes], explique son président, Daniel Bineau. Si je veux prendre la 30, je dois prendre le tunnel, où ce n’est pas mieux. Ce sont des retards et des coûts supplémentaires que les clients ont parfois de la difficulté à comprendre. C’est difficile d’essayer de justifier des surcharges parce que le MTQ ferme des voies sur un pont. Notre client de Vaudreuil ne veut rien recevoir parce qu’il ferme à 15 h. La fenêtre de livraison est réduite. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Cadieux, président-directeur général de l’Association du camionnage du Québec

C’est un « dur passage », reconnaît le président-directeur général de l’Association du camionnage du Québec (ACQ), Marc Cadieux. Lundi, tout porte à croire que la première bordée de neige a empiré les choses, dit-il.

Les effets sur les délais de livraison sont inévitables, selon M. Cadieux.

« C’est possible que plusieurs chauffeurs soient rattrapés par les plafonds des heures de service et qu’ils soient contraints de cesser de rouler pour se reposer avant d’arriver à destination », croit le dirigeant de l’ACQ.

Ce dernier espère que l’industrie aura un peu de répit à l’occasion de la période des Fêtes, où il y a habituellement moins d’« usagers réguliers de la route pendant quelques semaines ».

En savoir plus
  • 2026
    Année où est prévue la mise en service partielle du nouveau pont de l’Île-aux-Tourtes
    source : gouvernement du Québec
  • 2,3 milliards
    Facture estimée pour remplacer le pont de deux kilomètres
    source : gouvernement du Québec