L’opposition officielle à l’Assemblée nationale demande des comptes au gouvernement sur ses subventions aux entreprises qui utilisent les paradis fiscaux. Son porte-parole en matière de finances publiques pense que les sociétés bénéficiant de l’aide financière de Québec devraient « s’engager à ne pas utiliser de stratégies d’évitement fiscal ».

« Il faut faire attention : c’est de l’argent public », dit le député libéral Monsef Derraji.

Son parti réagissait ainsi à une enquête menée conjointement par La Presse et Radio-Canada sur l’entreprise montréalaise Pharmascience, à partir de documents obtenus par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) à la suite d’une nouvelle fuite baptisée Cyprus Confidential. Les documents révèlent comment le producteur montréalais de médicaments génériques a utilisé Chypre et la Barbade pour éviter de payer des millions de dollars en impôts au Canada.

Depuis des années, l’entreprise empoche d’importantes aides publiques, comme les subventions et les prêts totalisant près de 55 millions annoncés fin octobre pour l’agrandissement de son usine de produits injectables, à Candiac.

Une portion de l’aide, un « prêt non remboursable » (subvention) de 24,7 millions, provient d’Investissement Québec. Dans une déclaration commune avec le ministre des Finances, le cabinet du ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon souligne que le bras financier du gouvernement vérifie « la structure de l’entreprise pour connaître les filiales situées à l’extérieur du Québec ».

Plusieurs facteurs ont été analysés avant de déterminer l’appui au projet, dont les retombées économiques et le caractère stratégique pour le secteur des sciences de la vie.

Mathieu St-Amand, directeur des communications du cabinet de M. Fitzgibbon

Questionné à ce sujet, M. St-Amand n’a pas précisé spécifiquement si Investissement Québec connaissait l’existence de la filiale de Pharmascience à la Barbade, qui a existé jusqu’en 2019.

La déclaration commune indique aussi que le fisc « a augmenté considérablement ses capacités d’enquête et de récupération dans les dernières années ». « Entre 2020 et 2022, Revenu Québec a cotisé pour plus de 1 G$ d’impôts non payés grâce à sa stratégie pour renforcer la lutte contre la planification fiscale agressive et le recours aux paradis fiscaux. »

Délocaliser la propriété intellectuelle

L’opposition demande néanmoins au gouvernement d’en faire davantage.

« Clairement, ce que Pharmascience utilise, c’est un modus operandi pour maximiser ses revenus, utiliser l’argent des contribuables et les crédits d’impôt au Québec et au Canada et installer des brevets à la Barbade, dit Monsef Derraji. C’est une structure financière où la compagnie est à l’aise, dit-il. Eh bien, si vous êtes à l’aise avec ça, pourquoi vous venez quêter au gouvernement ? »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Monsef Derraji, député libéral

Il compte présenter un mandat d’initiative sur les paradis fiscaux à la commission des finances publiques, en réaction à notre enquête.

En 2016, les représentants de la Coalition avenir Québec ont voté avec les autres députés à l’Assemblée nationale en faveur d’une résolution condamnant « les pratiques liées aux paradis fiscaux, qui privent l’État québécois de sommes considérables et violent le principe de l’équité fiscale ».

Le texte appelait notamment Ottawa et Québec à collaborer pour « mettre un terme à l’évitement fiscal qui se pratique par l’entremise des nombreuses coquilles vides à la Barbade mises en place par des entreprises canadiennes ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Pharmascience a utilisé une filiale à la Barbade pour délocaliser ses profits sur des licences de médicaments.

Pharmascience a transféré des millions en revenus dans cette île des Antilles, de 2013 à 2020.

Québec solidaire et le Parti québécois demandent eux aussi au gouvernement de priver de subventions les entreprises qui recourent aux paradis fiscaux.

« Chaque fois qu’un contribuable élude ses responsabilités fiscales, cela affecte le fardeau des autres contribuables et la capacité de l’État à offrir les services », dit Haroun Bouazzi, porte-parole de Québec solidaire en matière de finances.

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, pense que le gouvernement « doit renforcer les lois afin de rendre l’évitement fiscal plus complexe, voire impossible ».

Réactions à Ottawa

À Ottawa, le Bloc québécois loge à la même enseigne. « On transfère les bénéfices dans les paradis fiscaux, et un cabinet d’audit comptable dit : “C’est tout à fait légal”, même si c’est complètement immoral », dit Gabriel Ste-Marie, porte-parole de la formation en matière de finances.

Au Nouveau Parti démocratique, le chef adjoint Alexandre Boulerice se montre toutefois plus nuancé.

« Mon premier instinct, c’est de dire : “Bien sûr, il ne devrait plus y avoir de subventions à des entreprises qui ont recours à ces stratagèmes”, dit-il. Mais peut-être que ça toucherait trop de compagnies ! Il faut d’abord et avant tout qu’elles ne puissent plus bénéficier de ces pratiques-là, qu’on a légalisées. »

Selon lui, « les libéraux de Justin Trudeau n’ont jamais été là pour combattre cette “escroquerie légalisée” ».

Lisez « Des millions de Pharmascience à l’abri du fisc canadien »