Le Service aérien gouvernemental (SAG) bat de l’aile. L’exode des pilotes vers le privé combiné à la vétusté de la flotte fait bondir le recours à la sous-traitance, a appris La Presse. Québec se prépare à débourser des millions de dollars pour éviter des interruptions de vols sanitaires et d’évacuations aéromédicales.

En raison de « bris imprévisibles » et d’un « manque de main-d’œuvre », essentiellement attribuable à la pénurie de pilotes qui frappe l’industrie aérienne, le ministère des Transports du Québec (MTQ), qui chapeaute le SAG, a mis moins de six mois à épuiser la totalité des fonds (700 000 $) d’un contrat de sous-traitance qui devait couvrir une année complète.

Ce n’est pas fini. On se prépare maintenant à verser jusqu’à 7 millions d’ici mai 2025 à quatre sous-traitants – Air Inuit, Sky Jet, Propair et Air Médic –, révèlent des données obtenues en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Depuis le 1er mai dernier, date à laquelle la plus récente entente a été conclue, près de 1,1 million a déjà été décaissé.

« Le Ministère fait face à des défis importants en matière de main-d’œuvre et de vieillissement de sa flotte d’aéronefs, reconnaît sa porte-parole, Émilie Lord. Le Ministère travaille actuellement sur des scénarios de remplacement afin d’assurer la pérennité des services. »

Dans l’état actuel des choses, certains observateurs se demandent si le temps n’est pas venu de réfléchir à la pertinence, pour Québec, de continuer à assumer la responsabilité du transport médical aérien.

Au moment d’écrire ces lignes, le MTQ n’avait pas précisé si ce scénario était à l’étude. De son côté, le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) estime que de se fier uniquement au secteur privé ouvrirait la porte à des abus et que cela finirait par coûter plus cher aux contribuables.

En fin de vie

Le SAG est responsable des transports sanitaires aériens, de la lutte contre les incendies de forêt (avec ses avions-citernes) et d’autres activités aériennes, comme la collaboration avec la Sûreté du Québec (SQ) grâce à ses hélicoptères. La question de la sous-traitance semble surtout concerner le créneau des transports aériens médicaux.

Selon nos informations, deux des quatre appareils, des jets Challenger 601 construits par Bombardier respectivement en 1989 ainsi qu’en 1994, ont dépassé plus de la moitié de leur vie utile, soit plus de 15 000 heures de vol sur la limite de 30 000 heures. Cela raccourcit les échéanciers de maintenance. Les Challenger – utilisés notamment lors des évacuations d’urgence – se retrouvent donc plus souvent à l’atelier.

En 2017, Le Journal de Québec rapportait que le SAG avait déboursé environ 1,8 million pour se procurer un jet privé usagé Challenger aux États-Unis pour le démanteler afin d’utiliser ses pièces dans le but de rajeunir certaines parties de ses propres avions. La facture risquerait d’être salée pour le MTQ s’il décidait d’acheter des appareils neufs ou sur le marché de l’occasion. Il faudrait potentiellement consacrer des dizaines de millions pour un jet neuf.

Difficile de fidéliser les pilotes

Parallèlement à l’âge des Challenger, SAG peine à fidéliser ses pilotes. Depuis le 1er avril dernier, huit personnes capables de piloter les avions gouvernementaux – les Challenger et Dash 8 – ont quitté les rangs. Au 25 septembre, il n’en restait que 28, ce qui représente 14 équipages. Il s’agit d’un recul de 22 % en 6 mois.

« Le moral n’est pas fort, affirme le président général du SFPQ, Christian Daigle. Notre taux de roulement était de 30 % en 2022. Il faut environ 40 pilotes pour que les choses fonctionnent bien.

Si on offrait de bonnes conditions et que l’on investissait dans de nouveaux appareils, on arrêterait de verser des millions en sous-traitance. Il ne faut pas le voir comme une dépense, mais une économie à plus long terme.

Christian Daigle, président général du SFPQ

Selon les données gouvernementales, un commandant d’avion d’affaires peut annuellement empocher 110 000 $. Pour un copilote, le plafond est fixé à 75 000 $. De l’avis du syndicat, cela n’est pas suffisant pour freiner l’exode vers le secteur privé. Le salaire d’un pilote de ligne est bien plus élevé au sein d’une grande compagnie aérienne, plaide M. Daigle.

Dans ce contexte, le temps est peut-être venu d’évaluer si le jeu en vaut la chandelle en matière de transport aérien médical, estime Jacques Roy, professeur de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal. L’expert précise qu’il n’a pas toutes les données pour se prononcer, mais qu’une analyse approfondie interne permettrait de le faire.

« Oui, il faut quelqu’un au Ministère pour accorder ces contrats et les surveiller, dit M. Roy. Mais est-ce que c’est nécessaire de le faire soi-même [le transport] ? C’est une autre question. »

M. Daigle n’est pas du même avis.

« Si le gouvernement laisse tomber l’évacuation médicale aérienne, la porte va s’ouvrir pour le privé, affirme le président-directeur du SFPQ. Il va savoir que c’est un service essentiel et que le gouvernement n’a plus rien pour contrôler une hausse des coûts. »

C’est une « fausse bonne idée » de tout confier au privé, croit M. Daigle.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

En savoir plus
  • 2520
    Patients transportés par l’avion-hôpital gouvernemental en 2020-2021
    Source : service aérien gouvernemental
  • 5100
    Usagers ayant pris les navettes médicales, qui offrent des vols programmés, en 2020-2021
    Source : service aérien gouvernemental