Ottawa défend bec et ongles sa préférence envers Boeing afin de remplacer ses avions de patrouille maritime vieillissants. Les chances de voir Bombardier rivaliser avec le géant américain pour obtenir ce contrat multimilliardaire semblent avoir du plomb dans l’aile.

En dépit des sorties publiques de l’avionneur québécois, d’un front commun pancanadien de l’industrie aérospatiale et des appels lancés par Québec et l’Ontario, de hauts fonctionnaires fédéraux persistent et signent : il n’y a rien d’autre que le P-8A Poseidon de Boeing pour remplacer les CP-140 Aurora de l’Aviation royale canadienne (ARC) – une conclusion avec laquelle Bombardier est en désaccord.

« Quand on a fait notre demande d’information, il y avait aussi une partie tierce (une firme externe) qui regardait les résultats, affirme le sous-ministre adjoint, approvisionnement et défense, Simon Page. Cette partie tierce a confirmé qu’il n’y avait aucune disponibilité dans les années 2030 et 2040. »

Celui-ci témoignait, mardi, en fin de journée, devant le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, formé de députés du Parti libéral du Canada, du Parti conservateur du Canada, du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique. M. Page était accompagné de collègues des ministères de l’Industrie et de la Défense nationale.

Selon M. Page, pas moins de 23 entreprises, des constructeurs d’avions et des fournisseurs de matériel, ont répondu à la demande de renseignements du gouvernement Trudeau à l’hiver 2022. Bombardier était du nombre, affirme-t-il. Le comité a demandé que le rapport de la firme externe, dont le nom n’a pas été précisé, lui soit fourni.

Achat politisé

Le dossier du remplacement des CP-140, un contrat potentiel de 9 milliards, s’est politisé au cours de la dernière année. Le ministère de la Défense privilégie l’appareil de Boeing – qui s’apparente à la famille d’avions commerciaux 737 et qui peut lancer des torpilles. Le P-8A a été identifié comme l’unique avion pouvant répondre aux exigences canadiennes. Jusqu’à 16 exemplaires pourraient être commandés par le Canada.

Désireuse d’accroître son exposition au secteur militaire, la multinationale québécoise demande la chance de promouvoir une version modifiée de son jet privé Global 6500, qui est assemblé en Ontario, par l’entremise d’un appel d’offres. L’avion serait équipé de systèmes et de capteurs – l’équivalent du système nerveux – conçus par General Dynamics et aurait la capacité de réaliser des missions de surveillance et de lutte anti-sous-marine. Le hic : l’appareil n’existe pas encore.

IMAGE FOURNIE PAR BOMBARDIER

Bombardier veut vendre une version militarisée de son Global 6500 au Canada.

Néanmoins, la demande de Bombardier est appuyée par plusieurs acteurs de l’industrie canadienne et par les gouvernements Legault et Ford. Ils anticipent l’attribution d’un contrat de gré à gré plutôt qu’un processus qui favoriserait la concurrence.

« Seul Boeing a proposé un avion militaire standard, a affirmé M. Page, dans ses remarques d’ouverture. Dans les autres réponses, il ne s’agissait que de solutions partielles, d’un aéronef qui n’était pas encore développé ou qui nécessiterait d’importantes modifications. »

Les CP-140 doivent être progressivement mis au rancart à compter de 2030. Aucun des députés présents lors de l’audience n’a questionné la raison pour laquelle la proposition de Bombardier n’avait pas la cote auprès du ministère de la Défense. Les questions portaient surtout sur la préférence du préjugé favorable gouvernemental envers Boeing.

Dans une déclaration envoyée à La Presse, Bombardier a exprimé son « désaccord » à propos des « conclusions tirées par les représentants gouvernementaux ».

« Les recommandations et les discussions de mardi portent ultimement sur des faussetés et des pressions politiques qui défavorisent les Canadiens et l’ensemble de notre secteur aéronautique », fait valoir l’entreprise.

Des milliards en jeu

Selon des informations diffusées le 27 juin dernier par une agence du département américain de la défense, le prix de 16 P-8A Poseidon que l’avionneur américain vise à vendre au Canada s’élève à 5,9 milliards US. Cela ne signifie pas pour autant qu’un contrat d’achat a été conclu, affirme le gouvernement Trudeau.

C’est également ce qu’a répété M. Page devant le comité permanent. On ignore cependant quand Ottawa tranchera.

Le Poseidon de Boeing est assemblé aux États-Unis. Toutefois, plusieurs entreprises implantées au Québec et dans le reste du pays agissent comme fournisseur. Parmi celles-ci, on retrouve CAE, GE Aviation, qui compte une antenne à Bromont, ainsi que le conglomérat propriétaire de Pratt & Whitney Canada.

En savoir plus
  • 1 milliard US
    Cible des revenus annuels que Bombardier souhaite générer grâce au secteur de la défense à compter de 2025.
    Source : bombardier