Québec ne compte éponger que 20 % des déficits des sociétés de transport d’ici 2028, avec une aide totale de 502,8 millions, dont l’essentiel irait à l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM). Dans le monde municipal, qui paierait une bonne partie de la facture restante, on sent déjà une grande inquiétude.

Un premier scénario de travail a en effet été présenté aux opérateurs de la province, qui rencontraient en début de semaine la ministre des Transports, Geneviève Guilbault.

Celle-ci a terminé cet automne sa tournée de consultations et avait déjà promis dans la foulée un plan de financement sur cinq ans d’ici la fin de 2023 pour le transport collectif.

Selon ce qu’a pu confirmer La Presse, la ministre propose une aide de 482,8 millions sur cinq ans à l’ARTM, qui traîne depuis plusieurs mois déjà un manque à gagner de 500 à 600 millions et un déficit anticipé de plus de 2 milliards. Québec allongerait 149,5 millions à l’organisme dès 2024, puis 132 millions en 2025, 99,6 millions en 2026, 66,6 millions en 2027 et 35,1 millions en 2028.

Le reste de l’enveloppe gouvernementale, soit environ 20 millions, irait aux autres sociétés de transport du reste de la province. Les villes de Laval, Québec, Lévis, Gatineau, Sherbrooke ou encore Saguenay devraient donc se partager cette somme, alors que leurs pertes cumulées surpassent les 250 millions.

Un déficit de 2,5 milliards

En comptant les revenus de la taxe sur l’immatriculation et du REM, Québec calcule que le déficit cumulé de l’industrie devrait atteindre 2,5 milliards de dollars sur les cinq prochaines années.

Ce calcul est déjà plus optimiste que celui de l’Association du transport urbain (ATUQ), qui calculait l’an dernier un déficit cumulé de 3,7 milliards d’ici 2027, avec un manque à gagner de 560 millions en 2023, 650 millions en 2024, 800 millions en 2025, 860 millions en 2026 et 900 millions en 2027.

N’empêche, le financement de 502,8 millions ne représente qu’à peine 20 % du déficit de 2,5 milliards évoqué par le gouvernement. Le reste serait comblé en grande partie par les municipalités : dans le Grand Montréal seulement, les villes devraient débourser plus d’un milliard, dont plus de 260 millions seulement en 2024. À l’extérieur de la métropole, les villes débourseraient près de 165 millions en cinq ans.

Pour le reste, Mme Guilbault propose certains efforts « d’optimisation » de quelque 365 millions, dont 345 pour l’ARTM. Un comité piloté par le ministère des Transports et l’ARTM serait aussi mis sur place pour dégager jusqu’à 150 millions d’économies supplémentaires. Les revenus liés à la richesse foncière uniformisée (RFU), un mécanisme de répartition des dépenses lié à la taxation, rapporteraient quant à eux pour 415 millions, dont 353 millions dans le Grand Montréal.

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Geneviève Guilbault

Questionnée à ce sujet, mercredi, la ministre Guilbault a montré une certaine ouverture à revoir son offre dans les prochaines semaines. « C’est une première proposition. Ils savent tous que j’attends leur contre-proposition », a-t-elle dit en mêlée de presse à l’Assemblée nationale.

« Est-ce que l’argent des contribuables doit servir à financer l’entièreté des dépenses d’exploitation des sociétés de transport, alors que […] nous-mêmes, on a nos hausses de dépenses ? », s’est-elle toutefois interrogée du même souffle, avant d’ajouter que Québec « ne peut pas financer à l’infini des opérations qui relèvent des municipalités ».

Le premier ministre François Legault a ensuite secondé. « Il n’y a jamais un gouvernement qui en a fait autant que nous, mais on doit partager la facture avec les municipalités. À Québec, on a des impôts sur le revenu, des taxes de vente. Dans les municipalités, ils ont des taxes foncières. Il n’y a pas plus de marge de manœuvre à Québec qu’il y en a dans les municipalités », a-t-il soulevé.

« Fardeau financier démesuré »

Dans le milieu, l’annonce de ces nouvelles propositions est toutefois mal reçue. Le président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), Martin Damphousse, déplore qu’un « désengagement financier du gouvernement du Québec dans le transport collectif représente pour les municipalités un fardeau financier démesuré, et ce, à quelques semaines seulement de leur dépôt de budget ».

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Martin Damphousse, président de l’UMQ

« Les responsabilités financières des municipalités ne cessent de s’alourdir. Il est primordial que le gouvernement tienne compte de cette réalité », ajoute M. Damphousse.

La mairesse de Montréal Valérie Plante, quant à elle, a jugé la proposition de Mme Guilbault « pas acceptable ». « 20 %, c’est loin du 35 % qui a toujours été financé par les gouvernements pour le transport collectif dans la région métropolitaine. […] Ça amènerait les sociétés de transport à devoir couper, ce qui est la dernière chose à faire si on veut encourager les gens », a-t-elle jugé.

À l’ARTM, le porte-parole Simon Charbonneau affirme que son groupe « a pris acte de la proposition et consulte les partenaires du milieu ». « Un C. A. spécial sera tenu à ce sujet. Nous ne commenterons pas cette semaine alors que les discussions se poursuivent », s’est-il limité à dire mercredi.

« On est en train de se questionner sur le financement même du transport collectif. Je ne suis pas sûr que les gens nous aient élus pour ça », déplore le président de l’ATUQ, Marc Denault, aussi président de la Société de transport de Sherbrooke (STS) et conseiller municipal. Il espère avoir plus de réponses vendredi, alors que se tiendra le Forum 2023 de la Politique de mobilité durable (PMD).

Ce qu’ils ont dit

C’est un scandale national, ce qui est en train de se passer. On s’en va vers des coupes massives de service dans les sociétés de transport. Et ce sont les gens en périphérie des services qui vont écoper le plus.

Etienne Grandmont, député de Québec solidaire

C’est un grave recul qui aura des conséquences sur la mobilité durable. On demande à la ministre d’écouter et de retourner à la table de négociations.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

C’est très inquiétant. Je ne pense pas, en fait, que le gouvernement prend au sérieux les enjeux du transport collectif. 20 %, ce n’est pas assez.

Monsef Derraji, leader parlementaire du Parti libéral du Québec

Je m’inquiète du déficit anticipé à l’ARTM. Par le passé, l’optimisation annoncée s’est soldée par une baisse de l’offre et de la qualité du service à la STM qui a entre autres mis la hache dans les lignes 10 mins max.

Alba Zuniga Ramos, de l’Opposition municipale de Montréal

Avec Tommy Chouinard et Isabelle Ducas