Un « graphique choc » de la Banque Nationale (BN) a récemment indiqué qu’en 2019, le produit intérieur brut (PIB) par habitant de Montréal accusait un retard de 25 % sur celui de Toronto. Ce chiffre a été repris par le ministre des Finances, Eric Girard, et par le quotidien Montreal Gazette. Il exagère toutefois considérablement l’avance réelle de Toronto sur Montréal en matière de performance économique. Voici pourquoi.

De 1970 à 1995, l’économie de Montréal a connu des années très difficiles. Au cours de cette période, le taux de chômage de Montréal a oscillé régulièrement entre trois et six points de pourcentage au-dessus de celui de Toronto. À partir des années 1990, cependant, la tendance s’est inversée. L’économie montréalaise vit depuis 30 ans une renaissance économique qui a tout l’air d’une petite révolution. Le Financial Post de Toronto parle même de l’émergence d’un Montreal 2,0 qui met Toronto au défi et qui soulève l’enthousiasme de plusieurs entrepreneurs montréalais comme Harley Finkelstein, Mitch Garber et Chris Stern.

L’évolution récente leur donne raison. En 2022, 80 % de la population montréalaise de 15 à 64 ans occupait un emploi, contre 77 % à Toronto. Et le taux de chômage avait atterri à 4,8 % à Montréal, nettement en dessous du taux de 6,4 % à Toronto.

Lire L’article Could Montreal challenge Toronto for Canadian economic supremacy ? du Financial Post (en anglais)

La performance globale de l’économie, quant à elle, se mesure par le volume réel de biens et de services (PIB) que l’économie parvient à produire par habitant d’âge actif (de 15 à 64 ans, disons). Les données de Statistique Canada permettent de calculer que, de 2001 à 2019, cet indicateur a progressé de 27 % à Montréal, contre 17 % à Toronto. Montréal n’a pas encore rattrapé Toronto, mais l’avance de Toronto, qui atteignait 14 % en 2001, avait diminué à environ 5 % juste avant la pandémie.

Comment alors expliquer que le calcul du PIB par habitant des économistes de la BN donne un retard économique de 25 % pour Montréal tandis que nous l’estimons à 5 % ? Il n’y a pas ici de querelle de chiffres. Tout simplement, la BN ne mesure pas la même chose que nous. Deux éléments sont à la source de la différence.

Le premier est que le dénominateur de leur PIB par habitant inclut toutes les personnes âgées, dont l’immense majorité est inactive et n’offre, par définition, aucune prestation de travail contribuant au PIB. Cette inclusion a pour effet d’abaisser le PIB par habitant de Montréal par rapport à celui de Toronto parce que le poids démographique des personnes âgées est plus important à Montréal.

Le deuxième élément est que les économistes de la BN utilisent un concept de PIB qui estime la valeur monétaire des biens et services produits et vendus plutôt que leur volume physique réel. Cela donne évidemment un PIB plus faible pour Montréal, parce qu’en moyenne, les mêmes biens et services (dont notamment les services de logement) se vendent beaucoup moins cher à Montréal qu’à Toronto. Statistique Canada a, par exemple, estimé qu’en 2019, le même panier représentatif de consommation qui coûtait 1000 $ à un ménage montréalais coûtait 1150 $ à un ménage torontois.

Or, nous purgeons le retard de 25 % calculé par les économistes de la BN de ces deux éléments. En suivant rigoureusement la règle internationale, qui veut que les comparaisons se fassent sur une base de parité de pouvoir d’achat, nous comparons les quantités physiques réelles de biens et de services que les deux économies métropolitaines parviennent à produire avec les ressources humaines offertes par leur population de 15 à 64 ans. C’est le portrait juste de l’écart Montréal-Toronto, un 5 % qu’il nous reste maintenant à combler.

La conclusion que l’économie de Montréal a connu une renaissance vigoureuse depuis 30 ans et comble peu à peu son déficit de performance par rapport à Toronto est incontournable. Montréal n’est plus le « ti-canard la patte cassée » des années 1970 à 1995. Il y a encore beaucoup de travail à faire dans tous les domaines, mais disons que l’objectif de parité avec Toronto est tout à fait réalisable.

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