Cette semaine, Marie-Philippe Rodrigue, orthophoniste, spécialiste en gestion et en organisation, autrice du livre Le paradoxe de la poule pas d’tête – Mieux travailler, sans devenir fou, répond à nos questions.

Qu’on soit gestionnaire, employé, travailleur autonome ou président, vous observez que presque personne n’échappe au culte de la productivité, voire de la surproductivité.

Depuis qu’on est connecté 24 heures par jour, on est dans une culture où l’on doit toujours être proactif et dans l’action. On entend des histoires à succès de gens qui racontent avoir travaillé pendant quatre ans, 80 heures par semaine, sans prendre de vacances. Les réseaux sociaux alimentent d’ailleurs le phénomène. On devient alors un peu mal à l’aise d’avouer qu’on a pris une journée de repos. Ça s’est sournoisement installé dans notre société du « faire toujours plus ». Notre environnement sociétal l’encourage. Or la première chose, c’est d’en prendre conscience. De se dire : « Oups, je l’ai échappé, mon travail a pris le dessus, je n’ai pas respecté mon horaire de sommeil. » L’environnement nous met des exigences, mais on va souvent les accepter, parce qu’on a de la difficulté à dire non, à refuser des mandats.

Vous parlez des lois de la productivité. Quelles sont celles qu’on devrait privilégier ?

Peu importe les outils qu’on a, peu importe notre personnalité, peu importe notre contexte de travail, j’ai remarqué qu’on oublie tous des principes simples. Par exemple, le temps réel dont on a besoin pour terminer une tâche. On prévoit une heure pour une tâche et, finalement, après une heure, on ne l’a pas complétée. Une des raisons, c’est qu’on planifie notre temps en fonction du scénario idéal. On oublie qu’on va peut-être avoir besoin d’envoyer un courriel à un collègue parce qu’il manque une information, qu’on va peut-être avoir une envie urgente d’aller à la salle de bain, puis qu’on va peut-être croiser un collègue en chemin, que l’ordinateur aura un problème ou qu’on sera plus fatigué. On ne peut pas prévoir les imprévus, mais on sait qu’il y en aura.

Vous avez observé que contrairement aux idées reçues, le multitâche n’est pas un signe de productivité.

Non, au contraire. Même s’il y a une tâche qui n’exige pas vraiment de ressources cognitives, comme passer ma balayeuse en écoutant un balado, il va toujours y avoir un moment où je vais être plus attentive à une tâche ou à l’autre. Dans le contexte du travail, c’est contre-productif. Prenez l’alternance de tâches, comme rédiger un rapport tout en répondant à des courriels. Juste le fait de sortir de la rédaction du rapport pour répondre à un courriel et s’y remettre entraîne une perte de temps et d’énergie. Les études l’ont démontré. Les gens qui font cette alternance prennent plus de temps pour accomplir la tâche principale. C’est contre-productif, mais aussi contre-intuitif, parce qu’on a l’impression que quand on fait plusieurs choses en même temps, on fait avancer plusieurs dossiers. Dans la réalité, on fait tout un peu à moitié.

Comment devenir plus productif sans se sentir débordé ?

Gérer sa boîte de courriels est un bon début. Retrouver une information à travers tous les courriels demande un temps fou. On devrait avoir un maximum de 20 courriels dans une boîte de réception. Quand je reçois un document, c’est automatique, je le classe dans un dossier où il sera facile à retrouver.

Traiter les courriels est une petite tâche qui demande peu de temps et donne une gratification instantanée. Notre cerveau est programmé pour aimer la gratification instantanée. En ce qui concerne les tâches lourdes et longues, j’ai découvert un truc contre la procrastination qui m’a beaucoup aidée à me mettre en action et qui justement procure cette gratification. On prend une grosse tâche récurrente et on la subdivise en sous-tâches. Ça enlève vraiment une grosse charge cognitive. Pour rédiger mes rapports d’orthophonie, j’ai fait une feuille de route avec mes 75 étapes à cocher une fois terminée. Je commence avec des étapes qui sont plus molles, comme remplir les en-têtes d’un document, et, tranquillement, j’arrive à faire ce qui demande plus de jus de cerveau. J’entre dans le « momentum ».

Quand on constate qu’il y a trop de travail, le premier réflexe dans les organisations ou ailleurs est de dire qu’on a besoin d’employés supplémentaires. Mais est-ce toujours le cas ?

Avant d’opter pour cette première solution, je conseille quatre étapes : décortiquer ce qu’il y a à faire afin de voir où ça accroche ; standardiser le processus en écrivant la recette ; automatiser tout ce qu’on peut avec des logiciels parfois gratuits ; déléguer à une autre personne. On peut aussi choisir de déléguer parce qu’on n’est pas spécialisé dans la tâche et qu’il nous faudra plus de temps pour la réaliser. Moi, par exemple, je n’excelle pas dans la mise en page et le design. Quand je suis rendue à cette étape, je la délègue. Si je n’ai pas vraiment besoin d’un beau visuel, je m’en tiens à un document Word et ça s’arrête là.

Le paradoxe de la poule pas d’tête – Mieux travailler, sans devenir fou

Le paradoxe de la poule pas d’tête – Mieux travailler, sans devenir fou

Logiques

200 pages