Rentrer au boulot après une ou deux semaines de vacances et se sentir peu reposé, sans avoir l’impression d’avoir décroché, voilà un sentiment partagé par bien des travailleurs, surtout depuis la pandémie. Pourquoi semblons-nous incapables de prendre des vacances relaxantes ?

« Si je reste à la maison pendant mes vacances, j’ai l’impression de ne pas m’évader totalement, mais je me repose un peu… Et si je pars en voyage, je décroche vraiment, mais je rentre fatiguée ! »

Geneviève O’Meara, spécialiste des communications de 42 ans, décrit ainsi le paradoxe de ses vacances estivales. Elle convient qu’elle est privilégiée de pouvoir partir en voyage, mais elle constate que peu importe ce qu’elle choisit, elle revient fatiguée au bureau.

« C’est comme si les bienfaits de partir en vacances étaient moindres, et ils se font ressentir sur une plus courte période, dit cette résidante des Laurentides. La semaine avant de partir est énergivore et au retour, j’ai l’impression de courir après un train qui est déjà en marche ! »

Éric*, 48 ans, est cariste dans un centre de distribution d’une chaîne alimentaire. Propriétaire de deux chiens, il part chaque année avec sa conjointe dans les Maritimes, en voiture. La routine des journées, qu’il soit à la maison ou en vacances, l’épuise.

« J’attends ces vacances toute l’année, confie-t-il, mais c’est comme si je n’arrivais pas à me déposer ni à relaxer. La même routine se répète, et elle est chargée. Je ne profite jamais vraiment de mes vacances et en bout de ligne, ça ne change pas grand-chose à mon état d’esprit. Je reviens brûlé. »

Apprendre à relaxer

Contrairement à ce que l’on peut penser, partir en vacances ne rend pas plus heureux. C’est la conclusion d’une étude réalisée aux Pays-Bas : elle démontre que l’anticipation d’avoir plusieurs jours de congé rend heureux, mais au retour, les gens qui sont partis ne sont pas plus heureux que les travailleurs qui sont restés au boulot… à moins que les premiers aient eu des vacances relaxantes.

Consultez l’étude (en anglais)

Or, relaxer en vacances n’est pas inné.

« Dans les années 1970-1980, on croyait que les années 2000 signeraient la fin du travail grâce aux robots, indique Emilie Genin, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. On n’a jamais autant travaillé qu’au XXIsiècle. Les horaires se sont allongés le soir et le matin avec une intensification du travail. On est devenus accros au travail. »

Selon elle, il faut s’interroger sur notre rapport au travail… et aux écrans.

« On pourrait dire qu’on a toujours le choix de regarder ou pas ses courriels pendant les vacances… mais ce n’est pas tout à fait vrai, puisqu’on sait qu’il y a des conséquences professionnelles à ne pas le faire, précise Mme Genin. Ça ne repose pas que sur les individus. C’est une question de leadership, de charge de travail et d’organisation du travail. »

Une nouvelle norme sociale

La peur de perdre son emploi, de manquer d’argent, surtout dans un contexte d’inflation, la société de consommation et la course à la productivité sont des raisons qui poussent les travailleurs à vouloir performer… même en vacances.

« Le travailleur ne veut pas avoir deux fois plus de courriels à lire au retour de vacances, alors il va les prendre pendant ses vacances, résume Roxane de la Sablonnière, professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal. Et même si on est conscient que ça nous empêche de décrocher et que cela a une influence sur notre santé mentale, c’est extrêmement difficile de revenir en arrière. »

La norme sociale a changé depuis la pandémie : rester connecté en vacances, chez nous ou à l’autre bout de la planète, est banal, voire attendu.

Faire autre chose

Pour récupérer, le travailleur a besoin d’un détachement psychologique, rappelle Jacques Forest, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM). Il cite les travaux de la chercheuse allemande Sabine Sonnentag sur la période de récupération, cruciale pour l’être humain.

« Le détachement psychologique, c’est réussir à mettre la switch à off. Aucun athlète ne s’entraîne tous les jours, glisse-t-il, et c’est la même chose pour les travailleurs. Il faut gérer son budget énergie pour réussir à chasser la fatigue et l’épuisement. »

Comment ? En faisant des activités « autres », que ce soit faire du yoga ou du bénévolat, aller au spa ou au gym, peu importe. C’est ce changement d’activité qui va appeler au calme et permettre la récupération, souligne le psychologue organisationnel.

« Qui s’est dit un jour : “j’ai pris trop de vacances” ? Il vaut mieux en prendre plus que moins… et miser sur la qualité », conclut-il.

* Éric a préféré témoigner sous le couvert de l’anonymat, craignant des jugements de la part de ses collègues ou de son employeur.