La Presse nous apprenait cette semaine qu’à la suite du recensement de 2021, la région de Drummondville était devenue, grâce à une population comptant plus de 100 000 habitants, la sixième région métropolitaine de recensement (RMR) québécoise reconnue par Statistique Canada.

Il s’agit là d’un évènement qui mérite d’être souligné en raison, d’une part, du fait que la dernière RMR québécoise reconnue serait celle de Sherbrooke en 1986 et, d’autre part, considérant le chemin parcouru par la ville et la région en termes de développement au cours des dernières décennies. Toutefois, est-il juste de parler de « revanche » ou de « miracle » de Drummondville ?

À moins que Drummondville soit rancunière, il y a belle lurette que le territoire n’incarne plus « la quintessence du Québec profond » pour reprendre les termes de l’ancien chroniqueur économique à La Presse Claude Picher. Ce dernier publiait en juin 1995 (il y a 28 ans !) un texte justement intitulé « La revanche de Drummondville ».

Extrait de la chronique de Claude Picher

« Pour des milliers de Québécois, Drummondville est un trou d’une infinie monotonie, aussi attardé culturellement qu’économiquement. L’impression est encore accentuée par la seule image que la plupart d’entre nous avons de l’endroit : une plate étape entre Montréal et Québec, et donc alignement banal de restaurants, garages, motels et centres commerciaux collés sur la Trans-Canadienne. Il n’en fallait pas plus pour que les Montréalais, entre autres, s’amusent à multiplier les jokes sur le dos des braves Drummondvillois, et ils ne s’en sont pas privés.

« Eh bien ! amis montréalais, attachez bien vos tuques, j’ai de petites nouvelles pour vous.

« C’est en 1989 que les spécialistes des économies régionales ont commencé à remarquer qu’un phénomène inattendu se manifestait dans la région de Drummondville : les employeurs se plaignaient d’une pénurie de main-d’œuvre. Autrement dit, l’économie locale offrait plus d’emplois qu’il y avait de travailleurs disponibles. […]

« Drummondville continue, depuis ce temps, de créer des emplois par milliers. Uniquement dans le secteur manufacturier, plus de 6000 emplois ont été créés depuis 1989, dont près de 1400 l’an dernier. On compte en moyenne, depuis six ans, 200 investissements industriels par année ; ces investissements totalisent un demi-milliard, et proviennent aussi bien du Québec que des États-Unis, d’Allemagne, de France, du Japon, de Norvège, entre autres. »

Ça se poursuit

Depuis lors, les investissements industriels et la création de nouveaux emplois n’ont pas dérougi. Par exemple, entre 1998 et 2007, le nombre d’entreprises manufacturières de la MRC de Drummond est passé de 465 à 689 et une moyenne de 133,6 millions de dollars a été investie annuellement. Au cours des cinq dernières années (2018-2022), c’est plus de 1,2 milliard de dollars qui ont été investis et près de 4400 emplois qui ont été créés.

Peut-on alors parler de miracle pour qualifier la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve la région aujourd’hui, et ce, tout particulièrement lorsqu’on la compare à l’état de dévitalisation qui prévalait au tournant des années 1980 ?

Dans son sens premier, un miracle se définit, selon Le Robert, comme un « fait extraordinaire où l’on croit reconnaître une intervention divine bienveillante, auquel on confère une signification spirituelle ».

Or, le succès de la reconversion industrielle est plutôt le fruit du travail acharné, raisonné et concerté de femmes et d’hommes de la communauté qui ont su profiter des attributs locaux et créer les conditions gagnantes pour assurer le redressement de la région.

Sur la base d’une stratégie fondée sur la diversification des activités industrielles, l’implantation de PME, la stimulation de l’entrepreneuriat local et la prospection d’entreprises étrangères, Drummondville va passer de « ville à l’agonie » à « modèle de développement ». A posteriori, nous pourrions dire que la région était condamnée à connaître du succès. Elle comptait et compte toujours sur une localisation stratégique entre Québec, Montréal, Trois-Rivières et Sherbrooke, et ce, sans parler de sa proximité avec les États-Unis. La région pouvait également miser sur de nombreux terrains disponibles pour accueillir de nouvelles entreprises (ce qui est de moins en moins le cas). L’industrie du textile, qui a été l’industrie motrice pendant une bonne partie du XXe siècle et dont l’avantage compétitif est fondé sur les bas salaires, a contribué à insuffler un fort esprit entrepreneurial à la région. En effet, l’entrepreneuriat a émergé comme moyen pour les travailleurs de sortir de l’usine et d’améliorer leurs conditions matérielles de vie.

Enfin, les leaders politiques et économiques, menés par la mairesse ainsi que les intervenants de la Société de développement économique de Drummondville et appuyés par une communauté d’affaires tissée serrée, ont su travailler de pair et de manière pratiquement consensuelle pour arriver à leurs fins.

Ayant d’abord étudié la reconversion industrielle de Drummondville dans le cadre d’une thèse de doctorat et travaillant aujourd’hui comme acteur de développement économique au Centre-du-Québec avec les entrepreneurs et partenaires de Drummondville, je peux affirmer que ce n’est pas un esprit de revanche, de la rancune ou encore une croyance en une force surnaturelle quelconque qui animent les gens de la région. C’est plutôt la volonté de trouver des solutions aux défis qui touchent les entreprises, la communauté et le territoire afin qu’elles continuent d’être des locomotives de développement. Je dirais même que le sentiment de revanche a fait place à de la fierté, voire à un soupçon de chauvinisme !

Soumettez votre lettre