Au rythme où vont les choses avec la reprise dans l’industrie aérienne, Montréal-Trudeau se retrouvera à l’étroit plus rapidement que prévu « côté pistes », un « mur vers lequel on fonce tout droit », avance un nouveau livre rédigé par le professeur et spécialiste des transports Jacques Roy.

C’est l’un des constats de l’ouvrage La saga des aéroports de Mirabel et Dorval : des leçons à tirer maintenant et pour l’avenir. Ce scénario, s’il se concrétise, accentuera les maux de tête d’Aéroports de Montréal (ADM), à la traîne dans ses grands projets d’infrastructures après avoir vu ses finances fragilisées par la pandémie de COVID-19.

« Une chose est certaine, le mur existe et on devra y faire face, écrit M. Roy, professeur de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal. Ce que l’on ignore avec précision, c’est le moment où l’on va l’atteindre. »

De la construction de l’aéroport de Mirabel à son déclin et au rapatriement des vols vers Dorval, rebaptisé Montréal-Trudeau en 2004, en passant par l’avenir des aéroports, le livre ratisse large à travers sept chapitres, où l’on revisite le passé en plus de regarder en avant.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jacques Roy est expert en transport ainsi que professeur de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal.

Un quart de siècle après ce transfert des vols internationaux de Mirabel à Dorval, les répercussions se font encore ressentir et sont là pour de bon, explique le professeur, dans une entrevue avec La Presse.

Il sera toujours difficile d’apporter des améliorations à Montréal-Trudeau, un aéroport « enclavé ».

L’espace est déjà manquant en période de pointe dans l’aérogare, mais d’autres nuages pointent à l’horizon. Selon M. Roy, la « capacité ultime » des pistes de 310 000 mouvements – un atterrissage ou un décollage – par année pourrait être atteinte dès 2047, soit deux décennies avant les projections évoquées en 2018 par ADM.

« Je pense que l’on va atteindre cette limite d’avoir de plus en plus de sièges dans les avions, explique M. Roy. À un moment donné, il ne pourra pas y avoir de croissance sans qu’il y ait plus d’avions. »

Trop optimiste ?

Dans son plus récent plan directeur, qui s’échelonne jusqu’en 2033, l’organisme sans but lucratif table sur une croissance annuelle de 1 % des mouvements. L’expert estime que ce taux est « faible » lorsque l’on compare les moyennes nord-américaines de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et de l’Association du transport aérien international (IATA), qui oscillent entre 2,5 et 3 %.

M. Roy souligne avoir été le plus prudent en s’adonnant au jeu de prévisions, reconnaissant que des éléments, comme les préoccupations environnementales, pourraient finir par freiner la croissance du trafic aérien à Montréal-Trudeau.

N’empêche, d’importantes décisions attendent Yves Beauchamp, qui s’installera aux commandes d’ADM le 5 septembre prochain. Dans les années 1980, Ottawa a transformé les aéroports en OBNL, qui doivent payer l’occupation et l’utilisation des terrains fédéraux. À Montréal, le bail vient à échéance en 2072. Par la suite, l’aéroport doit être remis au gouvernement fédéral sans aucune dette.

Il faut donc bien planifier d’importants investissements afin de pouvoir les amortir. Plus facile à dire qu’à faire en sortant d’une crise sanitaire.

« Cela veut dire que 20 ans avant, il faut arrêter de dépenser et rembourser les dettes, explique M. Roy. Tu fais quoi pendant cette période ? Du raboudinage et de l’entretien minimum. Quelque part, ça ne fonctionne pas. »

Dans un courriel, ADM affirme avoir de la capacité sur ses deux pistes « pour encore de nombreuses années », en ajoutant que les prochaines prévisions viendront dans le plan directeur 2023-2043, qui devrait être déposé auprès du ministre fédéral des Transports « à la fin de 2024 ».

Occasion unique

La situation actuelle offre cependant une occasion selon l’expert, qui estime que la planche de salut de Montréal-Trudeau ne passe pas par sa privatisation ou l’arrivée d’investisseurs privés comme des gestionnaires de régimes de retraite. Il propose une renégociation des modalités du bail entre ADM et Ottawa.

Par exemple, le bail pourrait être prolongé. De son côté, le loyer serait plafonné au niveau actuel, indexé à l’inflation plutôt que sur la base des revenus bruts. En contrepartie, l’autorité aéroportuaire devrait faire des concessions en matière de gouvernance. Il s’inspire du modèle australien, où un organisme de surveillance s’assure que les décisions prises par les gestionnaires d’aéroport protègent « les intérêts du public ».

« Notre modèle actuel donne beaucoup trop de marge de manœuvre aux dirigeants, affirme M. Roy. Un petit comité de surveillance, cela obligerait les gestionnaires à se présenter devant un groupe pour expliquer leurs décisions. Pour le grand public, cela offrirait davantage de transparence. »

Un exemple : entre 1997 et 2021, les « frais d’amélioration aéroportuaire », qui sont intégrés dans le prix d’un billet d’avion, sont passés de 10 $ à 35 $ à Montréal-Trudeau. Avec un comité de surveillance, ADM n’aurait pas la latitude pour décréter unilatéralement une hausse, explique M. Roy. Elle devrait être justifiée.

En savoir plus
  • 2,3 milliards
    Dette à long terme d’Aéroports de Montréal au 31 décembre 2022
    Source : aéroports de Montréal
    3,3 milliards
    Investissements prévus pour le volet « ville », comme la station du REM, le stationnement étagé et le débarcadère
    Source : AÉROPORTS DE MONTRÉAL