Chaque semaine de l’été, nos journalistes partent à la rencontre de communautés québécoises d’adoption. Quatrième arrêt : les Ukrainiens de… Châteauguay.

Des centaines de familles ukrainiennes sont arrivées dans la région de Châteauguay depuis l’an dernier. Elles y ont trouvé une alliée, une amie et une confidente en Nicoleta Caraulan, qui s’est donné pour mission de redonner espoir à ceux qui ont tout perdu.

À son arrivée au Québec, en 2011, Nicoleta Caraulan a dormi pendant six mois avec un dictionnaire Larousse à côté de son lit.

« Je me réveillais le matin et j’apprenais 50 mots », dit-elle.

Plus tard, elle trouvait refuge dans les toilettes de l’Université de Montréal pour pleurer, car elle ne parvenait pas à comprendre l’accent québécois de ses professeurs.

PHOTO FOURNIE PAR NICOLETA CARAULAN

Nicoleta Caraulan et les drapeaux du Québec et de l’Ukraine

Aujourd’hui, la mère de famille parle un français impeccable, joliment teinté des roulements roumains de sa Moldavie natale.

« J’ai appris le français, j’ai refait ma vie ici. Je sais que c’est difficile, mais je sais aussi qu’il y a de belles choses qui se produisent quand on persévère », dit-elle.

Le choc

Bachelière en relations industrielles, Nicoleta Caraulan travaillait comme coordonnatrice à l’Alliance carrière travail en Montérégie, en février 2022, quand la Russie a lancé une invasion à grande échelle de l’Ukraine, poussant des millions d’Ukrainiens à trouver refuge à l’étranger, notamment au Canada.

« Au début, la demande était tellement grande qu’on ne savait pas quoi faire, explique-t-elle. Avec Brenda Shanahan, la députée fédérale de Châteauguay – Lacolle, on a créé le Comité d’accueil Ukraine du grand Châteauguay, qui réunit des dizaines d’organismes du territoire, et j’ai été nommée coordonnatrice de ce comité. »

PHOTO FOURNIE PAR NICOLETA CARAULAN

Nathalie Simon, ex-mairesse de Châteauguay, et Brenda Shanahan, députée fédérale de Châteauguay – Lacolle, remettent un prix de la communauté irlandaise de Châteauguay à Nicoleta Caraulan.

Accueil des familles à l’aéroport Montréal-Trudeau, création d’une base de données de familles d’accueil québécoises, récupération de meubles, de vêtements, de jouets, de vélos… Tout était à faire. L’afflux était tel que le Centre d’éducation des adultes L’Accore, de Châteauguay, a créé une classe de francisation spécialement pour les Ukrainiens arrivés d’urgence.

Nicoleta Caraulan a toujours beaucoup travaillé. Mais sa vie est devenue plus que remplie durant cette période, où sa maîtrise de la langue russe, parlée par beaucoup d’Ukrainiens, a fait d’elle une alliée toute désignée pour des centaines de familles fraîchement débarquées à Châteauguay et dans les municipalités environnantes.

« Des Ukrainiens m’appelaient sur mon cellulaire à 1 h du matin parce qu’ils faisaient de l’anxiété. Ou bien parce que leur enfant faisait de la fièvre, qu’ils cherchaient un hôpital et qu’ils ne parlaient ni anglais ni français. C’était plus que du 24 heures sur 24. »

À un moment donné, j’ai contacté des psychologues ukrainiens dans le monde sur l’internet pour leur demander d’offrir gratuitement des sessions sur Zoom aux Ukrainiens de Châteauguay. Ça a fonctionné.

Nicoleta Caraulan

Avant l’invasion de l’Ukraine, la région de Châteauguay comptait environ 2000 personnes qui parlaient le russe ou l’ukrainien. Quelque 300 familles ukrainiennes sont arrivées dans la première année du conflit, et les arrivées se poursuivent à ce jour.

Anne-Marie Langelier, une résidante de Léry, près de Châteauguay, a proposé au début du conflit d’accueillir chez elle des Ukrainiens.

« Nous sommes à la retraite, nous avons une grande maison, alors nous nous sommes dit : « Go ! » », explique-t-elle.

Après avoir pris contact avec Nicoleta Caraulan par l’entremise d’une connaissance, Mme Langelier a accueilli deux Ukrainiennes, Olha et Anastasiia. Elles ont aujourd’hui intégré le marché du travail et habitent dans leurs propres logements, l’une à Montréal, l’autre en Ontario.

De son expérience d’accueil qui s’est étalée sur 14 mois, Anne-Marie Langelier a surtout été impressionnée par la générosité des gens.

« On a fait une campagne de souscription pour Olha et Anastasiia. On a reçu des milliers de dollars. Une personne a même donné 3000 $ ! Les gens sont généreux. Quand le besoin est là, ils répondent présent », dit-elle, ajoutant que les relations avec le gouvernement fédéral et provincial sont compliquées et relèvent d’un « parcours du combattant » pour les Ukrainiens et leurs familles d’accueil.

Se projeter dans l’avenir

Selon Nicoleta Caraulan, les Ukrainiens de sa communauté vivent un deuil migratoire en trois phases.

« Au début, tout est nouveau. C’est l’euphorie. Pendant quelques mois, il y a une lune de miel avec leur nouvelle vie, avec la région. »

En deuxième lieu vient la réalité : composer avec un système de santé, un système scolaire et un marché du travail qui sont différents. L’effort de la francisation est aussi imposant pour les nouveaux arrivants. « Les gens ne sont plus dans le moment présent, ils se projettent dans l’avenir, ils voient les difficultés et ça crée de l’anxiété. C’est un piège : on a le goût de s’isoler, de rester à la maison, mais il faut combattre ce réflexe. Dans des cas extrêmes, les gens peuvent vivre des dépressions. »

La troisième phase, dit-elle, est celle de la construction de l’identité culturelle. « On réalise qu’on n’a pas besoin de faire du mimétisme, d’imiter les Québécois de souche. Qu’on peut développer notre propre identité, notre propre culture, et que ça nous donne une richesse et que ça enrichit aussi notre terre d’accueil. »

Sans faire un épuisement professionnel, Nicoleta Caraulan dit que son travail a eu un impact sur sa vie personnelle. Aujourd’hui, la mère de deux enfants a décidé d’aider autrement. Elle s’occupe notamment de donner des cours de francisation aux Ukrainiens.

« Je demeure un contact pour les Ukrainiens de Châteauguay. L’autre jour, une dame voulait joindre la Régie de l’assurance maladie du Québec, et ne savait pas comment s’y prendre, alors je suis allée chez elle pour l’aider. »

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La députée Brenda Shanahan a remis les armoiries du Canada à Nicoleta Caraulan.

Le 1er juillet, la députée Brenda Shanahan a remis les armoiries du Canada à Nicoleta Caraulan pour le travail qu’elle a fait auprès de la communauté ukrainienne de Châteauguay. La communauté irlandaise a récemment décerné à Nicoleta Caraulan le prix de personne humanitaire de l’année dans le grand Châteauguay.

« Des Irlandais de Châteauguay qui donnent un prix humanitaire à une Moldave qui aide des Ukrainiens, s’étonne-t-elle. Il y a juste ici qu’on peut voir ça ! »