Les subventions américaines pour mettre en place un écosystème des batteries vont profiter indûment à des indésirables, s’inquiète le gouvernement Legault, qui vient de plaider sa cause à Washington. Un producteur local, Nano One, va jusqu’à parler d’« échappatoires » qui vont bénéficier à la Chine.

Ce qu’il faut savoir

• Washington a débloqué l’année dernière une enveloppe de 370 milliards US pour mettre en place une filière des batteries pour véhicules électriques.

• La souplesse des subventions et des crédits d’impôt inquiète le Québec, qui veut mettre en place son propre écosystème, et un producteur local.

• Le gouvernement Legault demande à Washington de s’assurer que ses mesures, prévues dans l’Inflation Reduction Act, ne bénéficient pas indûment à des pays comme la Chine.

Ces craintes sont énumérées dans des mémoires récemment envoyés à l’administration Biden dans le cadre de consultations sur l’Inflation Reduction Act (IRA) – cette loi dotée d’une enveloppe de 370 milliards US en subventions et crédits d’impôt pour appuyer, notamment, tout ce qui concerne la construction de véhicules électriques.

La Presse a pu consulter les documents en question.

En pleine offensive pour jeter les bases d’une filière des batteries, Québec s’inquiète particulièrement des exigences américaines concernant le « contenu en minéraux critiques ».

Essentiellement, on craint que des minéraux comme du lithium extrait et raffiné dans des pays qui « ne sont pas considérés comme des partenaires de confiance » se retrouvent dans des batteries fabriquées en Amérique du Nord, ce qui mettrait des bâtons dans les roues de la stratégie québécoise.

« Cela serait donc susceptible d’accroître les pratiques commerciales déloyales, contribuant ainsi à l’inégalité des règles du jeu et aux effets néfastes qui en résultent sur les marchés mondiaux », peut-on lire dans le document dirigé par Jean-François Hould, qui était directeur du bureau québécois à Washington avant d’être nommé délégué du Québec à Chicago le 3 juillet dernier.

Le mémoire émanant de Québec, rédigé avec une approche très diplomate, ne nomme pas précisément la Chine, mais présente les indésirables comme des « acteurs dominants dans le domaine de l’extraction et du traitement des minéraux critiques ». Cette définition correspond à l’empire du Milieu, qui occupe une position dominante dans le créneau des minéraux critiques essentiels à la fabrication de batteries lithium-ion.

Un détournement

Propriétaire d’une usine de fabrication de matériaux de cathodes – principal intrant de la batterie qui alimente les véhicules électriques – à Candiac, en banlieue sud de Montréal, Nano One va plus loin. Cette entreprise établie à Vancouver estime qu’il y a une « échappatoire » dans l’IRA qui risque d’avantager le géant asiatique.

Elle concerne les batteries LFP (lithium-fer-phosphate), qui gagnent de plus en plus de terrain dans le cadre du virage électrique des constructeurs automobiles parce qu’elles sont moins coûteuses à produire. Selon Nano One, une « liste d’exclusion » qui figure dans les modalités de l’IRA permet à des fabricants de batteries de bénéficier du soutien de l’IRA même si leurs produits contiennent du fer et du phosphate extrait ou raffiné dans des pays comme la Chine avec des procédés polluants.

« C’est un problème sérieux permettant à des pays d’Europe centrale et orientale de participer à la chaîne nord-américaine […] et de bénéficier des crédits [de l’IRA] sans dépenser d’argent aux États-Unis », fait valoir Nano One.

Quelques faits saillants de l’Inflation Reduction Act

  • 30 milliards US en crédits d’impôt pour accélérer le traitement de minéraux critiques ainsi que la production d’éoliennes et de panneaux solaires
  • 10 milliards US en crédits d’impôt pour la construction d’usines de véhicules électriques, d’éoliennes et de panneaux solaires
  • 27 milliards US pour les technologies de production d’énergie propre

La société dénonce cette situation en soulignant qu’elle a mis au point un « nouveau procédé LFP » produit « en grandes quantités avec de l’énergie 100 % renouvelable au Québec ». Elle estime qu’il serait possible de niveler le terrain de jeu en exigeant que l’extraction et la transformation se fassent dans des pays considérés comme des partenaires fiables.

Les batteries LFP se retrouvent notamment dans certaines versions des Model 3 et Y de Tesla et de véhicules construits par des géants comme Ford, Hyundai et Toyota, notamment.

Légitimes

Ex-ministre de l’Environnement dans le gouvernement péquiste de Pauline Marois, ainsi que président et chef de la direction de Mobilité électrique Canada, Daniel Breton estime que les préoccupations de Nano One sont justifiées.

« Je pense que ça va être un enjeu, d’autant plus que ces batteries vont être moins coûteuses, souligne-t-il dans un entretien téléphonique, après avoir consulté les mémoires. De plus en plus de constructeurs automobiles vont dans cette direction [les batteries LFP] pour réduire leur dépendance au nickel et au cobalt, entre autres. »

La souplesse de l’IRA fait également des vagues aux États-Unis. Le département américain du Trésor a récemment publié des « orientations initiales » sur le nouveau crédit d’impôt, mais des questions persistent sur les liens entre la Chine et certains projets.

Les républicains ont notamment vivement critiqué le projet de Ford destiné à implanter une usine de batteries au Michigan en partenariat avec le géant chinois Contemporary Amperex Technology (CATL).

En juillet dernier, les présidents de deux commissions de la Chambre des représentants ont signalé qu’ils comptaient enquêter sur cette alliance entre le géant américain et CATL. Dans une lettre citée par Reuters, les républicains Jason Smith et Mike Gallagher avaient exprimé leurs inquiétudes à Ford en estimant que l’entente avec son partenaire chinois pourrait lui ouvrir davantage la porte du marché nord-américain.

En mars dernier, le sénateur démocrate Joe Manchin, qui a contribué à l’élaboration de l’IRA, avait aussi dénoncé la possibilité de voir les contribuables américains financer une société chinoise même si cela signifiait l’arrivée d’une usine de batteries sur le sol américain.

En savoir plus
  • 1er novembre 2022
    Date à laquelle Nano One a clôturé l’acquisition de son usine à Candiac
    Source : nano one
    80 %
    Capacité mondiale de fabrication chinoise des batteries dans le monde
    Source : S&P market intelligence