Un autre grand projet de la filière des batteries sortira de terre sous la supervision d’une firme québécoise : SNC-Lavalin est maître d’œuvre du chantier de l’usine de matériaux de cathodes – principal intrant de la batterie au lithium-ion qui alimente les véhicules électriques – de Ford et de ses partenaires à Bécancour.

Il n’a pas été possible d’avoir une idée de la valeur de ce contrat pour la firme d’ingénierie québécoise, mais elle se retrouve aux commandes d’un chantier d’au moins 700 millions, d’après nos informations.

L’arrivée de Ford au sein de la filière québécoise des batteries est un secret de Polichinelle. Ce projet est dans l’air depuis l’automne dernier et un terrain de 280 000 mètres carrés (3 millions de pieds carrés) a été acheté par le géant américainet ses partenaires dans le parc industriel et portuaire de Bécancour le mois dernier. L’entrepreneur L. A. Hébert a aussi commencé des travaux d’excavation sur le lot le 26 juin dernier.

Cette usine sera le fruit d’un partenariat entre Ford, le géant sud-coréen EcoPro BM et le fabricant de batteries SK On. L’annonce officielle devrait avoir lieu en août. Même si tout semble en place, SNC-Lavalin a dirigé les questions vers EcoPro, qui, par l’entremise du cabinet de relations publiques National, n’a pas offert plus de détails.

« Les fils de ce projet ne sont pas tous attachés et la date d’une éventuelle annonce n’est pas fixée », affirme André Bouthillier, vice-président directeur de la firme.

Gros chantier

Dans le parc industriel et portuaire de Bécancour – endroit privilégié par Québec pour développer la filière des batteries –, c’est le géant québécois de la construction Pomerleau qui s’assure de la construction de l’usine de cathodes de la coentreprise formée par General Motors (GM) et Posco. Ce chantier est situé au sud de l’autoroute 30, face à celui de Ford.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

SNC-Lavalin n’a pas précisé à La Presse les détails de son rôle en ce qui a trait au complexe de Ford et de ses partenaires.

Le chantier a été ouvert le 12 juin dernier et les travaux devraient s’échelonner sur deux ans. On devrait retrouver jusqu’à 480 travailleurs – en tenant compte des sous-traitants – sur les lieux.

La firme québécoise a déjà abandonné les contrats de construction à prix forfaitaires, pour lesquels les promoteurs absorbent généralement les dépassements de coûts, au profit des services d’ingénierie.

Sur son site web, la multinationale québécoise souligne que ses activités de gestion de projet de construction concernent « toutes les facettes d’un projet ». On évoque la construction, la mise en service ainsi que l’entretien.

Bon augure

De prime abord, le contrat décroché par SNC-Lavalin devrait lui être bénéfique puisqu’il concerne un créneau – la filière des batteries – en effervescence, souligne Frédéric Bastien, de Raymond James. L’analyste, qui suit les activités de l’entreprise québécoise, espère que la firme n’en mènera pas trop large.

Si SNC reste disciplinée et participe seulement au design de cette usine québécoise, comme la direction nous a promis, je verrais le tout positivement [pour l’entreprise].

Frédéric Bastien, analyste chez Raymond James, dans un échange par courriel

La première phase du complexe de GM et de Posco coûtera quelque 600 millions à construire. Les gouvernements Legault et Trudeau ont accepté d’allonger la moitié de la somme. On ignore toujours l’ampleur du soutien gouvernemental dans le cas de Ford et de ses partenaires, mais chose certaine, les deux ordres de gouvernement contribueront au projet.

Avant même son arrivée dans la province,le constructeur automobile s’est déjà positionné dans la filière des batteries. Il a déjà conclu une entente pour s’approvisionner en hydroxyde de lithium produit à l’usine de Nemaska Lithium. L’usine de l’entreprise, détenue à hauteur de 50 % par l’État québécois, sera aussi bâtie à Bécancour.

13,6 millions

Prix payé par Ford et ses partenairespour leur terrain dans le parc industriel et portuaire de Bécancour

Source : La Presse

SNC-Lavalin en bref

Siège social : Montréal

Président et chef de la direction : Ian Edwards

Secteurs d’activité : services d’ingénierie, énergie nucléaire, exploitation et entretien d’actif

Revenus (2022) : 7,5 milliards

Effectif : 34 000 personnes

Principal actionnaire : Caisse de dépôt et placement du Québec (19,9 %)

Terrain industriel à Bécancour : payé 2 millions en 2016, revendu 19 millions cet été

PHOTO SYLVAIN MAYER, LE NOUVELLISTE

Une partie du parc industriel Laprade à Bécancour

Le parc industriel LaPrade, à Bécancour, redevient propriété publique à fort prix. Le gouvernement du Québec paie huit fois la somme que le vendeur avait déboursée pour en faire l’acquisition en 2016.

Victime de son succès, le gouvernement du Québec commence à manquer de place pour accueillir les industriels et sous-traitants de la filière des batteries à l’intérieur du parc industriel et portuaire de Bécancour, une propriété d’État.

Des investissements de 10 milliards y sont attendus d’ici 2025. Les usines de GM-Posco, de Nemaska Lithium et de Ford-EcoPro sont d’ailleurs en construction.

Par souci d’efficacité, Québec a décidé de se doter d’une marge de manœuvre en faisant l’acquisition du parc industriel LaPrade tout juste à l’est au coût de 19 millions.

Le vendeur Jean Shoiry, qui avait payé le terrain 2 millions en 2016, peine à croire à sa bonne fortune. « La vie étant ce qu’elle est, qui aurait pu penser que la COVID-19 serait là, que la filière batterie viendrait s’établir ici ? Quand je l’ai acheté, c’était uniquement pour répondre aux besoins de mon entreprise. Ç’a été un investissement fructueux, effectivement. C’est un coup non prévu, en fait », dit-il en laissant échapper un rire.

Le terrain a une superficie d’environ 1,02 million de mètres carrés (11 millions de pieds carrés), dont 600 000 m2 (6,5 millions de pieds carrés) restent à construire.

Lors de l’annonce de la transaction à la mi-juillet, le gouvernement a expliqué que l’objectif est de lotir le vaste terrain en lots de 18 500 m2 (200 000 pi2) à 23 200 m2 (250 000 pi2) pour répondre notamment aux besoins des sous-traitants des fabricants des matériaux de batterie qui sont en train de s’installer dans le parc de Bécancour.

Le parc LaPrade tire son nom de l’ancienne usine d’eau lourde LaPrade du gouvernement fédéral, dont les travaux de construction avaient débuté en 1974 et s’étaient arrêtés en 1978 après avoir été achevés à seulement 35 %. L’usine a été démolie en 1998.

Énergie atomique Canada a vendu le site en 2005 pour 1 million. Par la suite, le terrain a changé de mains à quelques reprises pour un prix variant entre 2 et 3 millions.

M. Shoiry, de la région de Sherbrooke, en est devenu propriétaire en 2016 par l’entremise de Recyclage Solutions, devenue depuis PureSphera, une entreprise qui détruit le fréon des vieux frigos afin de favoriser leur disposition écologique. En 2018, il a transféré la propriété du site à sa société de gestion Résilience Conseil et Capital.

PureSphera est l’une des quatre entreprises actuellement actives dans le parc industriel LaPrade. Trois d’entre elles évoluent dans le secteur des technologies vertes. La quatrième société produit du cannabis à des fins récréatives.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

PureSphera collecte et recycle les appareils de réfrigération et de climatisation tout en détruisant leurs gaz nocifs.

Dans les bâtiments existants où se trouve PureSphera, deux étages de bureaux sont actuellement inoccupés et pourraient aisément servir à loger des activités de recherche ou de formation liées à la filière des batteries, croit-il.

« Ce n’est pas mon expertise de développer le parc industriel, dit M. Shoiry dans un entretien avec La Presse. Je trouvais qu’il y avait un potentiel intéressant pour la région. Ce n’était pas vraiment mon intention de développer le parc. »

Contrairement à lui, explique M. Shoiry, la Société du parc industriel et portuaire de Bécancour (SPIPB), qui assure désormais la gestion du parc LaPrade, dispose des moyens financiers pour y aménager les infrastructures nécessaires à son aménagement.

Rappelons que la SPIPB a racheté en février dernier deux lots totalisant environ 890 000 m2 dans le parc industriel. Elle a déboursé cinq fois le prix payé en 2021 par le vendeur pour ces mêmes terrains.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse