Le syndicat qui représente les débardeurs du port de Vancouver a retiré mercredi en fin de journée le préavis de grève de 72 heures qu’il avait déposé quelques heures auparavant. Au gouvernement, où la patience a atteint ses limites – comme dans le milieu des affaires –, on se garde néanmoins de crier victoire.

L’histoire jusqu’ici

  • 28 juin : Un préavis de grève est déposé par le Syndicat international des débardeurs et magasiniers du Canada. Le contrat de travail est échu depuis mars dernier.
  • 1er juillet : Un débrayage commence dans plus de 30 ports de la Colombie-Britannique, dont celui de Vancouver, le plus important du pays. Plus de 7400 débardeurs désertent les quais.
  • 13 juillet : Une entente de principe intervient entre le syndicat et l’employeur.
  • 18 juillet : L’accord est rejeté et les grévistes retournent sur les piquets de grève.

« En vigueur immédiatement, le préavis de grève daté du 22 juillet à 9 h a été retiré », a déclaré dans un communiqué tenant sur cette seule ligne le président du Syndicat international des débardeurs et magasiniers du Canada, Rob Ashton.

À Ottawa, Justin Trudeau avait réuni mercredi après-midi le Groupe d’intervention en cas d’incident afin de déterminer quelles pourraient être les prochaines étapes. « Le premier ministre a souligné qu’il était essentiel que les activités reprennent dès que possible dans nos ports », lit-on dans le compte rendu de la rencontre.

PHOTO CHRIS HELGREN, REUTERS

« Cette grève est illégale », a résumé le ministre du Travail, Seamus O’Regan, dans un tweet coiffant le verdict du CCRI. Celui-ci est basé sur le fait que le syndicat n’a pas donné de préavis de 72 heures avant de mener son action de grève.

Et puisque « les travailleurs et les employeurs du pays — et tous les Canadiens — ne peuvent être confrontés à de nouvelles perturbations », il a demandé à des ministres et à des hauts responsables « d’envisager toutes les options possibles pour assurer la stabilité de nos chaînes d’approvisionnement », poursuit-on.

Les ministres Seamus O’Regan (Travail) et Omar Alghabra (Transports) doivent faire le point ce jeudi.

Au gouvernement, on espère que cela signifie que l’entente de principe intervenue il y a quelques jours soit soumise au vote des quelque 7400 travailleurs – surtout, on espère qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir recours à ce qu’on qualifie d’« option nucléaire », soit le recours à une loi spéciale de retour au travail.

Ni le Nouveau Parti démocratique ni le Bloc québécois ne soutiennent l’idée d’une loi spéciale. Le chef conservateur Pierre Poilievre n’a pas précisé sa position à ce sujet, préférant mettre au défi Justin Trudeau d’annoncer « un plan pour mettre fin à cette grève dans les prochaines 24 heures ».

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES LA PRESSE

Omar Alghabra, ministre des Transports

Étonnement

La journée de mercredi a été ponctuée de rebondissements. Elle s’est amorcée avec un verdict du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), qui a déclaré la grève « illégale » en vertu du Code canadien du travail, la partie syndicale n’ayant pas donné de préavis de 72 heures.

Dans le milieu des affaires, on surveillait le tout avec une certaine exaspération.

La première interruption de 13 jours avait déjà eu des répercussions de « plusieurs millions » chez Olymel, qui a accumulé environ 3 millions de kilogrammes de produits frais – comme des filets et des longes de porc – dans ses congélateurs.

« Dans une semaine, on va s’approcher de 5 millions de kilos », a laissé tomber le premier vice-président du transformateur de viandes, Paul Beauchamp, mercredi. « Si la grève avait cessé ce matin, on en aurait eu jusqu’en septembre [pour écouler les stocks]. »

L’Asie est un marché important pour Olymel. Chaque semaine, c’est environ 1,5 million de kilogrammes de produits frais qui sortent de ses usines du Québec et de Red Deer (Alberta) à destination de pays comme le Japon et la Corée du Sud.

Ces cargaisons sont expédiées du port de Vancouver, essentiellement.

Dénouer l’impasse rapidement

Du côté des représentants d’associations patronales, mercredi, on réclamait ouvertement une loi spéciale. Selon Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), Ottawa a tout fait pour accompagner le syndicat et l’employeur pendant le premier débrayage.

« Je ne vois pas quelle solution il reste, dit-elle. On souhaitait une entente négociée, mais il y a une limite à laisser les entreprises être pénalisées. »

MEQ, qui représente quelque 1100 entreprises manufacturières dans la province, estime que de « cinq à six jours » sont nécessaires pour « absorber les retards générés » par chaque journée de grève. Au moins 65 jours seront donc nécessaires pour tourner la page sur les 13 premières journées de débrayage.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a aussi plaidé pour une loi spéciale afin de dénouer l’impasse.

Chez les analystes financiers, le conflit de travail au port de Vancouver n’inquiète pas à court terme. Par contre, certains, comme Walter Spracklin, de RBC Marchés des capitaux, se demandent si la réputation du Canada risque d’en pâtir. Si c’est le cas, l’impact irait au-delà des entreprises exportatrices ou de celles qui attendent des marchandises de l’étranger.

« L’incertitude liée à la main-d’œuvre pourrait amener les expéditeurs à réévaluer leurs options, particulièrement à destination du Midwest, où Vancouver et Prince Rupert sont en concurrence directe avec les ports de la côte ouest américaine », écrit M. Spracklin.

Si ce scénario devait se concrétiser, les deux grands chemins de fer au pays, le Canadien National (CN) et le Canadien Pacifique Kansas City (CPKC), risquent d’écoper. Environ 40 % des wagons déplacés par le CN transitent par les deux ports canadiens situés dans l’Ouest. Pour son concurent, il s’agit d’environ 20 %.

En savoir plus
  • 135 000 $
    Impact quotidien moyen de la grève au port de Vancouver chez les entreprises représentées par Manufacturiers et Exportateurs du Québec
    Source : Manufacturiers et Exportateurs du Québec
    16 %
    Proportion des marchandises échangées annuellement au Canada qui transitent par les ports en grève
    Source : Association des employeurs maritimes de la Colombie-Britannique