Northvolt pourrait obtenir 9 milliards de dollars en subventions aux États-Unis et demande une compensation similaire pour construire son usine de cellules de batteries sur la Rive-Sud de Montréal, a appris La Presse. S’il se concrétise, cet immense complexe entraînerait la création de plus de 4000 emplois.

Ces détails figurent dans une note de service rédigée à l’attention de la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, et dont le niveau de sécurité est qualifié de « secret ». Son contenu témoigne du pouvoir de négociation dont disposent les acteurs de la filière des batteries grâce aux généreuses subventions offertes au sud de la frontière.

Le document explique que la somme de 9 milliards (6,8 milliards US) a été calculée en fonction de la production actuelle de Northvolt et d’un crédit d’impôt à la production qui figure dans l’Inflation Reduction Act (IRA). Cette loi américaine est dotée d’une enveloppe de 370 milliards US en subventions et crédits d’impôt pour appuyer notamment la construction de véhicules électriques.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le fabricant de cellules Northvolt envisage de s’installer sur le site de l’ex-usine de la Canadian Industries Limited sur la Rive-Sud.

« Northvolt a indiqué qu’elle s’attendait à obtenir une compensation fondée sur la production semblable si l’installation était établie au Canada », peut-on lire dans ce document préparé en février dernier.

Il n’a pas été possible de savoir, lundi, si les projections avaient été ajustées depuis. La note n’offre pas de détails précis à propos des données utilisées pour en arriver à un potentiel soutien financier de 9 milliards grâce à l’IRA.

Les gouvernements Legault et Trudeau n’ont pas voulu commenter le contenu du document. La réponse a été similaire du côté de Northvolt, qui compte BMW, Volvo et Volkswagen parmi ses clients. Dans une déclaration à La Presse, la jeune pousse a néanmoins confirmé des pourparlers « à propos d’un potentiel appui financier ».

Beaucoup d’argent

En plus des subventions, le fabricant de cellules négocie deux autres formes de soutien financier. La première concerne une « contribution » de 1,34 milliard d’Ottawa en provenance du Fonds stratégique pour l’innovation – destiné à soutenir des projets « importants ». L’autre serait une aide de 1,4 milliard offerte par Québec afin de soutenir d’« éventuelles dépenses en capital ».

Une cellule de batterie, qu’est-ce que c’est ?

Une batterie lithium-ion que l’on retrouve dans une voiture est en quelque sorte un assemblage d’unités de batterie individuelles, les cellules. Elles sont branchées en série par un circuit électronique. Le nombre et la taille de chaque cellule permettent de déterminer la quantité d’électricité qu’une batterie pour véhicule électrique est en mesure de stocker.

Dans la filière des batteries, la fabrication de cellules constitue la dernière étape avant l’assemblage d’une batterie lithium-ion que l’on retrouve dans les véhicules électriques. Il s’agit du chaînon manquant dans l’écosystème que souhaite mettre en place le gouvernement Legault. Chose certaine, il reste encore plusieurs étapes à franchir dans les négociations avant que l’on effectue une annonce en bonne et due forme.

« Les responsables du gouvernement n’ont pas encore reçu copie du plan d’affaires de l’entreprise », écrivent les fonctionnaires fédéraux.

Comme révélé par La Presse le mois dernier, c’est sur les terrains sur lesquels se trouvait autrefois l’usine d’explosifs de la Canadian Industries Limited (CIL), à la limite de McMasterville et de Saint-Basile-le-Grand, que Northvolt aimerait s’établir. L’endroit se trouve notamment à proximité d’une ligne à haute tension, ce qui faciliterait son raccordement au réseau d’Hydro-Québec, ainsi que d’un chemin de fer.

PHOTO FOURNIE PAR NORTHVOLT

L’usine initiale de Northvolt en Suède. Les premières livraisons ont eu lieu l’an dernier.

L’usine serait d’une capacité de 60 gigawattheures, ce qui permettrait d’alimenter annuellement 1 million de véhicules électriques. Le site aurait une superficie équivalant à 100 hectares – plus de 75 terrains de football –, une empreinte similaire à celle de l’usine de cellules située en Suède, dont les livraisons ont débuté l’an dernier.

Course aux subventions

L’aide publique accordée à des projets d’envergure de la filière des batteries s’est retrouvée sous les projecteurs depuis avril dernier. En Ontario, le gouvernement Trudeau a consenti à offrir jusqu’à 13 milliards en subventions au constructeur allemand Volkswagen pour le convaincre de s’établir à St. Thomas plutôt qu’aux États-Unis. Plus récemment, le gouvernement Ford et Ottawa négocient actuellement avec Stellantis dans l’espoir de sauver un projet d’usine de batteries à Windsor en raison d’un différend avec l’entreprise entourant le soutien financier qui lui est offert. Sans surprise, les deux ordres de gouvernement proposent de mettre plus d’argent sur la table.

À Bécancour, la coentreprise formée par General Motors et POSCO pourrait recevoir jusqu’à 210 millions en subventions pour payer son usine de fabrication de matériaux de cathodes, un projet estimé à 600 millions. À l’occasion de l’annonce, le 29 mai dernier, le premier ministre François Legault n’avait pas manqué d’affirmer qu’il s’attendait à voir le gouvernement Trudeau délier les cordons de la bourse afin d’attirer un cellulier en territoire québécois.

« On l’espère et on va travailler fort pour que le Québec soit traité de façon équitable avec l’Ontario », avait-il lancé en point de presse, aux côtés du ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

Selon la note de service, le gouvernement Trudeau semblait souhaiter un engagement plus ferme de Québec en début d’année. Dans une lettre datée du 31 janvier dernier, M. Champagne insistait sur un « partage plus équitable du fardeau » financier dans ce dossier, apprend-on dans la note de service.

Au département de management de l’Université Laval, le professeur Yan Cimon n’est pas étonné de voir le Canada contraint à consentir des sommes gigantesques en subventions alors que plusieurs pays tentent simultanément de jeter les bases d’une filière de batteries.

« Il n’y a pas que l’argent, mais l’argent, c’est important, dit-il. La course est féroce parce que le positionnement est maintenant. On est dans la vague. Si on attend, on va rater notre coup. Cela veut dire qu’il y a une pression énorme pour égaler ce que le voisin américain peut offrir. Ce n’est pas tout rose, mais nous sommes dans la course. On ne se fait pas automatiquement damer le pion. »

Par ailleurs, dans un contexte où les volumes d’énergie disponibles sont appelés à être limités, une usine de fabrication de cellules, ce qui demande énormément d’énergie, ne pourrait pas démarrer du jour au lendemain. Selon le gouvernement Legault, les promoteurs de tels projets devront faire preuve de patience avant d’obtenir la garantie que l’approvisionnement énergétique sera au rendez-vous.

Lisez l’article « La filière des batteries se rapproche de Montréal »

Avec William Leclerc, La Presse

Northvolt en bref :

  • Année de fondation : 2015
  • Siège social : Stockholm, Suède
  • Produits : Matériaux de batteries, systèmes de stockage d’énergie et infrastructures de chargement
  • Effectif : Plus de 4000 personnes
  • Clients et partenaires : Volkswagen, BMW, Volvo, Polestar, Scania
  • Investisseurs connus : Goldman Sachs, Volkswagen, Régime de retraite des employés de l’Ontario
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