Le ministère des Finances du Québec a rendu public le 21 octobre le rapport sur les opérations financières pour les quatre premiers mois de l’année budgétaire 2022-2023.

Le rapport est très encourageant, car il montre qu’au 31 juillet, les opérations gouvernementales enregistraient un surplus budgétaire de 496 millions. De plus, la perspective pour l’ensemble de l’année est également excellente, car le rapport mensuel confirme les prévisions révisées du mois d’août : au lieu d’avoir un solde déficitaire de 3,0 milliards annoncé au budget, l’année financière se terminera par un surplus de 1,8 milliard. C’est une amélioration de 4,8 milliards.

Par contre, les échos qui viennent du fonctionnement des principaux secteurs de service sont moins encourageants. Les médias évoquent régulièrement des problèmes de sous-financement, le manque de ressources humaines ou les délais d’attente trop longs pour les clientèles qui ont besoin de services urgents ou spécialisés, que ce soit en santé, en éducation, dans les services sociaux ou pour les soins des personnes âgées. La pandémie a révélé des problèmes de fonctionnement qui existaient déjà, mais qui sont devenus plus évidents et plus généralisés. Ces problèmes inquiètent à la fois les usagers et le personnel qui est sur la ligne de front. Il faudrait faire pour chacun des secteurs concernés une analyse de leur fonctionnement et préparer un plan d’ajustement comme celui qui a été rendu public en mars 2022 pour le secteur de la santé.

Il y a toutefois une sorte de paradoxe entre, d’une part, la situation globale des finances publiques qui semble excellente et, d’autre part, la situation difficile des services eux-mêmes.

Le secteur public forme un tout et il faut essayer d’expliquer les raisons de ce paradoxe. La réflexion qui suit aboutit à une remise en question d’une philosophie de gestion des finances publiques qui s’est introduite au cours des dernières décennies.

1- Commençons tout d’abord par la gestion budgétaire globale. Le gouvernement du Québec utilise depuis 1997 une approche comptable qui est à première vue anodine, mais qui est similaire à celle d’un organisme opérant sur un marché où il y a une offre et une demande pour les biens ou services qui sont produits. En adoptant ce système, les dépenses budgétaires du gouvernement ne comprennent que les dépenses courantes d’opération utilisées pour son fonctionnement. Quand le gouvernement fait un surplus budgétaire de 1,8 milliard comme ce sera le cas en 2022-2023, il faut être conscient que ce surplus est comme l’équivalent d’un profit pour une entreprise privée.

Toutefois, ce surplus n’est pas disponible pour le financement des services, car il sera absorbé dans la procédure de financement du Fonds des générations, ce qui se traduira par une perte de 1,7 milliard à la fin de l’année budgétaire.

2- Le deuxième point concerne les investissements faits par le gouvernement et qui sont prévus dans le cadre du plan décennal des infrastructures appelé PQI, le Plan québécois des infrastructures. Le plan actuel pour la période 2022-2032 totalise 142,5 milliards, soit une moyenne de 14 milliards par année. Les dépenses annuelles découlant de ce plan sont financées d’abord par emprunt, et elles deviendront des dépenses budgétaires quand le projet sera terminé et que l’amortissement annuel sera inscrit au budget.

On peut donc procéder à la réalisation des éléments du PQI sans qu’il n’y ait à court terme d’impact sur la situation budgétaire.

La facture viendra plus tard. Le délai entre la décision de réaliser un projet et son impact budgétaire peut être relativement long, ce qui conduit au genre de discussion déconnectée de la réalité comme celle qui a lieu actuellement concernant la construction du tunnel entre Québec et Lévis, dont le coût minimum prévu est de 6,5 milliards. On ne le saura que dans quatre, cinq ou six ans. Il est probable que ceux qui décideront d’aller de l’avant avec le projet ne seront plus là quand il faudra en assumer les conséquences budgétaires, dans un contexte qui sera totalement différent puisque nous serons en pleine crise du réchauffement climatique.

3- La meilleure façon de gérer les investissements est la suivante. Si le Québec faisait partie de l’Union européenne, il devrait avoir un budget consolidé selon la pratique internationale, c’est-à-dire un budget comprenant à la fois le coût des opérations courantes et les dépenses d’investissement encourues au cours de l’année, que le projet soit terminé ou non (un montant net de 5,0 milliards en 2022-2023). Le surplus prévu de 1,8 milliard deviendrait un déficit de 3,2 milliards. Après le transfert de 3,4 milliards des revenus affectés au Fonds des générations, le déficit final serait de 6,6 milliards. C’est ça la réalité budgétaire du Québec.

4- Soulignons, en terminant, que durant la pandémie de 2020 à 2022, plutôt que de suspendre l’application de la Loi sur l’équilibre budgétaire, le gouvernement aura emprunté 10,2 milliards afin de pouvoir verser les contributions prévues au Fonds des générations dont les actifs serviront à la diminuer. Comme ces actifs sont spéculatifs, le gouvernement emprunte pour spéculer alors que son mandat est de donner des services de qualité à la population. Il devrait se concentrer sur ce mandat. Si on veut réduire le poids de la dette en pourcentage du PIB, la recette est simple : elle doit simplement croître moins vite que le PIB.

En résumé, le modèle de gestion des finances publiques du Québec est obsolète, car il poursuit un ensemble d’objectifs incohérents. Il est urgent de le réévaluer afin d’être capable au cours des prochaines années de redresser les services publics déficients, de choisir les bonnes priorités et de relever les énormes défis écologiques qui nous attendent.