Le silence de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) à l’égard de son pari d’environ 200 millions CAN dans Celsius Network est critiqué par le milieu de la gouvernance et l’opposition, qui appellent le gestionnaire du bas de laine des Québécois à rendre des comptes.

Neuf mois après avoir présenté la cryptobanque américaine comme une « entreprise de calibre mondial », le gestionnaire québécois de régimes de retraite et d’assurance publics et parapublics a vu son partenaire se placer sous la protection de la loi américaine sur les faillites.

La CDPQ refuse toujours d’expliquer comment ses vérifications au préalable l’ont incitée à injecter des millions – qui risquent de s’envoler – dans une société qui s’est effondrée à la suite du plongeon du cours des cryptomonnaies.

« On peut comprendre, dans une économie qui allait bien, l’idée de miser sur quelque chose de plus marginal. Mais 200 millions, ça reste de l’argent. Une fois que ça plante, ils ont un devoir de transparence », croit Luc Bernier, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa

L’actif de la Caisse s’élevait à 420 milliards au 31 décembre dernier. La perte potentielle dans Celsius Network peut paraître minime. Mais s’il n’y a pas de « petit profit », il n’y a pas de « petite perte », estime Robert Pouliot, expert-conseil dans les causes de risque fiduciaire et chargé de cours à l’UQAM.

À son avis, le mutisme de la CDPQ n’est pas « normal ».

C’est une question de culture, d’extrême discrétion et de réserve qui, à mon avis, ne correspond pas à son devoir fiduciaire. C’est l’argent de la population. Il y a plein de régimes de retraite qui confient leur argent à la Caisse.

Robert Pouliot, expert-conseil dans les causes de risque fiduciaire

Débâcle rapide

Les derniers mois ont été tumultueux pour Celsius Network, qui met en commun des dépôts de cryptomonnaies – comme le bitcoin – pour ensuite offrir des prêts et des intérêts qui dépassent les 10 %. Ces plateformes ne sont pas réglementées, et les actifs des déposants ne sont pas protégés.

Aux prises avec une crise de liquidités à cause de l’effondrement du cours des cryptomonnaies, l’entreprise a gelé les retraits de ses 1,7 million de déposants le 12 juin dernier. Elle a fait appel à la loi sur les faillites mercredi, ce qui signifie que les déposants pourraient perdre gros. Quand elle a déposé le bilan, il y avait un trou de 1,9 milliard US dans ses finances, selon des documents présentés devant les tribunaux new-yorkais.

Professeure de sciences comptables à l’UQAM et spécialiste en gouvernance, Saidatou Dicko souligne qu’il n’y a pas d’« obligation » pour la CDPQ de s’expliquer. Le contexte actuel est toutefois particulier.

« Compte tenu du délai très court entre l’investissement et la faillite et par respect pour la population québécoise, une conférence de presse ou une déclaration serait raisonnable, dit-elle. Deux cents millions, ça commence à être beaucoup pour des actifs très volatils. »

Maintenant ou pas ?

L’opposition demande des comptes à la CDPQ, mais on ne s’entend pas sur le moment. Porte-parole de Québec solidaire sur les questions d’économie, Ruba Ghazal souhaite que la lumière soit faite rapidement. Le gouvernement Legault devrait même l’exiger, ajoute-t-elle.

Avant de mettre l’argent des Québécois dans un secteur aussi peu réglementé, la CDPQ pourrait se garder une petite gêne. Elle doit sortir de son mutisme pour nous expliquer pourquoi elle a agi de la sorte.

Ruba Ghazal, de Québec solidaire

Du côté du Parti libéral du Québec, le porte-parole sur les questions d’économie, Carlos Leitão, croit qu’il faut plutôt attendre que le sort de Celsius Network soit scellé.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Carlos Leitão, porte-parole du Parti libéral du Québec sur les questions d’économie

Étonné de voir la CDPQ et d’autres investisseurs institutionnels s’intéresser aux plateformes comme Celsius Network, l’ex-ministre des Finances s’est dit troublé par la récente poursuite déposée contre la cryptobanque par un ex-partenaire d’affaires. On y allègue notamment que la société avait orchestré un système de Ponzi, en plus d’avoir manipulé des cryptoactifs.

« Si la Caisse n’était pas au courant, c’est troublant, et si elle savait et qu’elle a investi quand même, c’est tout aussi troublant, affirme M. Leitão. Il faut répondre à ces questions. »

Lisez Le partenaire de la CDPQ accusé d’avoir orchestré une fraude à la Ponzi

Le gouvernement Legault n’a pas voulu se prononcer. Le cabinet du ministre des Finances, Eric Girard, responsable de la CDPQ, s’est limité à rappeler, dans une déclaration, que l’institution devait « protéger l’épargne des Québécois ». Le placement dans Celsius Network ne représente qu’une « infime partie du portefeuille de la Caisse », selon Québec.

En savoir plus
  • 4,8 %
    La CDPQ détenait moins de 5 % de Celsius Network, qui s’est placée à l’abri de ses créanciers.
    Source : LA PRESSE