Stratagème de Ponzi, manipulation de cryptoactifs et autres pratiques douteuses : le contenu d’une poursuite visant Celsius Network soulève plusieurs questions sur les vérifications de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) avant d’injecter 190 millions dans cette cryptobanque l’automne dernier – un investissement sérieusement en péril.

Chef de la direction de KeyFi, une firme d’investissement de cryptomonnaies, Jason Stone allègue que Celsius Network ne lui a pas versé les « millions de dollars » qui lui sont dus. Sa réclamation n’est pas chiffrée.

Selon la poursuite déposée auprès de la Cour suprême de New York, la société de M. Stone a géré, pour son client, l’équivalent de « milliards de dollars » d’actifs entre août 2020 et mars 2021.

La relation d’affaires aurait débuté sans entente formelle, mais plutôt avec une entente de type « poignée de main ». Quelques mois plus tard, le point de non-retour était atteint.

« Face aux preuves croissantes de la désorganisation, de la mauvaise gestion et de la fraude des défendeurs, le demandeur a conclu qu’il ne pouvait plus travailler pour eux, est-il écrit dans le document d’environ 30 pages. En mars 2021 [M. Stone] a informé [Celsius Network] qu’il mettait fin à la relation d’affaires. »

Ces allégations n’ont pas encore été prouvées devant les tribunaux. Il n’a pas été possible de s’entretenir avec M. Stone. En raison de ce qui a les apparences d’une crise des liquidités provoquée par l’effondrement du cours des cryptomonnaies, Celsius a gelé les retraits de ses 1,7 million de déposants, le 12 juin dernier. Selon Reuters, l’entreprise aurait embauché des conseillers afin d’évaluer plusieurs options. Elle pourrait se placer à l’abri de ses créanciers.

Lisez l’article « Avenir incertain pour Celsius Network, qui a reçu des millions de la CDPQ »

Les plateformes comme Celsius Network mettent en commun des dépôts de cryptomonnaie. Elles offrent des prêts et des intérêts, souvent supérieurs à 10 %, aux déposants, ce qui est bien plus élevé que ce que proposent les banques traditionnelles. Ces cryptobanques ne sont pas réglementées. Celsius rémunérait ses déposants avec sa propre monnaie virtuelle (CEL), ce qui irrite les gendarmes boursiers aux États-Unis, notamment.

Pratiques inadéquates

M. Stone allègue que Celsius n’a jamais déployé les mécanismes de couverture adéquats pour se prémunir en cas de forte volatilité sur les marchés – ce qui s’est produit depuis le début de l’année. La plateforme se serait plutôt servie des dépôts de ses nouveaux clients afin de verser les rendements promis aux déposants, prétend le plaignant.

Alors que Celsius continuait à se présenter comme une entreprise transparente et bien capitalisée, elle était, en réalité, devenue un stratagème de Ponzi.

Jason Stone, chef de la direction de la firme d’investissement KeyFi

À propos des allégations de manipulation de marché, la poursuite affirme que la plateforme aurait « artificiellement » gonflé la valeur de son jeton CEL en multipliant les transactions entre février et novembre 2020. Celsius aurait effectué ces achats avec les bitcoins de ses déposants.

« L’objectif de ce système était à la fois frauduleux et illégal : Celsius incitait les clients à être payés en jetons CEL, lit-on. En gonflant artificiellement le prix, Celsius a pu payer les clients […] avec encore moins de cryptoactifs. »

La CDPQ a refusé de commenter la poursuite, vendredi, disant suivre « la situation de près ».

Des réponses à donner

La tournure des évènements fait sourciller Ivan Tchotourian, professeur à la faculté de droit de l’Université Laval. Les allégations devront passer le test des tribunaux, mais l’expert croit que la Caisse doit s’expliquer.

« Il y a une série d’éléments qui font qu’il faut redoubler de prudence, dit M. Tchotourian. Avec tout ce qui est soulevé dans la plainte, il y avait, à mon avis, des éléments détectables pendant les vérifications. »

Philippe Jetté, analyste principal des cryptomonnaies à la firme Rivemont Investissements, s’est particulièrement étonné de l’absence d’entente écrite entre M. Stone et Celsius. D’importantes sommes semblent avoir été gérées « sans la moindre entente écrite, sans structure de protection ».

« Si tout cela est vrai, quel genre de vérification au préalable la Caisse a pu faire pour rater des drapeaux rouges aussi flagrants ? », demande M. Jetté.

Vendredi, Celsius n’avait pas répondu aux questions de La Presse.

Une fraude à la Ponzi, c’est quoi ?

Cela consiste à utiliser les sommes d’un investisseur pour verser de faux rendements à d’autres investisseurs ou rembourser ceux qui désirent récupérer leur argent, selon l’Autorité des marchés financiers.

En savoir plus
  • 3 milliards
    Valeur estimée de Celsius Network l’automne dernier quand la CDPQ a investi dans l’entreprise
    Source : Caisse de dépôt et placement du Québec