Deux ans plus tard, nous prenons des nouvelles des entrepreneurs qui ont témoigné de leurs difficultés, alors que la pandémie paralysait l’économie. Aujourd’hui : les Ateliers Danielle Fichaud.

Danielle Fichaud va mieux qu’il y a deux ans. Beaucoup mieux. « J’ai rajeuni de 10 ans », lance-t-elle.

La soustraction lui donnerait 58 printemps. Celui de 2020 se présentait très mal, quand la comédienne et propriétaire des Ateliers Danielle Fichaud avait contacté La Presse pour témoigner dans la série « Face à la crise ».

D’ordinaire inébranlablement optimiste, elle semblait alors désemparée, quasi prostrée.

« Ça n’allait vraiment pas bien », se remémore-t-elle.

Cloîtrée en raison de la pandémie, elle vivait alors dans une résidence pour aînés avec son père, âgé de 91 ans, pour l’accompagner après la perte de sa compagne des 70 dernières années.

Son école de formation de comédiens, spécialisée dans le travail devant la caméra, était fermée en raison du confinement. Elle ignorait comment elle pourrait rembourser les élèves inscrits à la session d’avril sans mettre en péril son atelier et ses professeurs. Devait-elle accepter le prêt gouvernemental de soutien et endetter son entreprise, dont elle avait toujours préservé le bilan ?

Conclusion de l’article du 14 avril 2020 : « Que fera-t-elle au cours des prochains mois ? […] “Je ne sais pas. Je vais peut-être demander l’aide du gouvernement, au moins pour moi ? Je ne sais pas… Je prie Dieu, je suppose…” Peut-être surgira-t-il un deus ex machina. »

Le deus ex machina — un dieu descendu des cintres, dans le théâtre antique, ou l’évènement improbable qui vient tout sauver — est apparu sous la forme d’Aline.

Au printemps 2020, on ignorait que Danielle Fichaud tenait le rôle de la mère de la simili-Céline dans le film de Valérie Lemercier. Le tournage s’était déroulé en 2019 et la pandémie faisait planer de sombres nuages sur l’avenir du film. « On ne savait même pas si ça sortirait un jour. »

La présentation du film au Festival de Cannes et l’invitation à parcourir son tapis rouge, en juillet 2021, étaient totalement inattendues.

Sa vie a alors pris un nouveau virage.

La vente

Nous sommes maintenant le 11 avril 2022, presque deux ans jour pour jour après l’entretien téléphonique du 9 avril 2020. C’est la pause dîner au milieu du cours d’analyse de texte qu’elle donne à huit jeunes comédiens — le dernier d’une session de cinq semaines.

Danielle Fichaud enseigne encore aux Ateliers Danielle Fichaud, mais les Ateliers Fichaud, comme ils s’appellent maintenant, n’appartiennent plus à Danielle Fichaud.

Elle a vendu l’entreprise en juin 2020.

C’était ça ou je fermais, dit-elle. Je n’étais plus capable.

Danielle Fichaud

Le point de bascule s’est produit lors de ce fatidique printemps 2020, quand le poids de ses responsabilités administratives lui est devenu insupportable.

« J’adore encore enseigner, explique-t-elle, je suis encore toute là, même plus que la moyenne ! Mais je ne voulais plus être angoissée pour le loyer. » Ni par les mille autres tracas d’une PME.

Elle a cédé son entreprise au comédien, metteur en scène et coach Steve Pilarezik « parce qu’il avait la même philosophie [qu’elle], le même respect des étudiants ».

« Avant, quand j’en parlais avec Steve, il se disait dans sa tête que j’exagérais un peu, mais maintenant, il est dedans, et il y a vraiment… des journées… où il n’en… peut plus », prononce-t-elle en terminant sa tirade dans un simulacre de murmure épuisé, sous le long éclat de rire de l’intéressé.

« C’est vrai ! », confirme-t-il.

Sortie de crise

Ils n’ont pas eu à rembourser les élèves d’avril 2020. La session a simplement été reportée au mois de septembre suivant.

En ce printemps 2022 où toutes les mesures sanitaires ne sont pas encore levées, les cours accueillent moins de 10 élèves, plutôt que la douzaine habituelle, afin de respecter une saine distanciation

« Pour l’instant, on perd 20 % du revenu annuel qu’on devrait avoir en principe », souligne Steve Pilarezik.

« Mais j’organise mes trucs et on y arrive », ajoute-t-il, pendant que l’ancienne propriétaire le regarde avec un sourire presque narquois.

Elle ne manifeste ni souci rétrospectif ni inquiétude par osmose. « J’ai donné pendant 33 ans », lance-t-elle. « Et j’ai une confiance totale. »

Sans doute, mais cette confiance, il lui a fallu la rebâtir.

Tatie Danielle

« J’ai eu une année 2020 épouvantable », relate-t-elle.

Son père est mort en octobre 2020. « La mort de mon père, j’ai géré ça toute seule parce que mon frère et mes sœurs ne pouvaient pas entrer. »

Elle est longtemps restée prisonnière de l’appartement. Elle a vécu dans la résidence jusqu’à la fin du bail, en juin 2021.

« Au mois de juillet, je suis allée à Cannes. À partir de là, ma vie a complètement changé. »

C’est peu dire. Le fameux tapis rouge s’est déroulé jusqu’à une sélection comme meilleure actrice dans un second rôle aux Césars 2022.

Sur cette lancée, la société de production Gaumont a suggéré au réalisateur Clément Michel de considérer Danielle Fichaud pour son nouveau film. « Il a dit : “C’est qui, elle ?” »

Il l’a appris et il l’a engagée. Dans le film intitulé Noël joyeux, dont la sortie est prévue en décembre 2023, elle joue le rôle d’une grincheuse.

« Je fais la vieille haïssable qui haït Noël. Une tatie Danielle. »