Il n’y aura finalement pas de sursis pour les camionneurs non vaccinés. Ottawa a remis les pendules à l’heure, jeudi, en affirmant corriger des renseignements « erronés » diffusés la veille par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Cela a néanmoins semé la confusion au sein de l’industrie pendant plusieurs heures.

Comme prévu, les règles annoncées en novembre dernier entreront en vigueur dès samedi. Ainsi, les chauffeurs qui ne sont pas complètement vaccinés ou qui n’auront reçu qu’une seule dose de vaccin devront se placer en quarantaine à leur arrivée au pays. Les camionneurs américains non vaccinés seront refoulés à la frontière.

« Soyons clairs : ceci n’a pas changé », ont indiqué les ministres de la Santé, Jean-Yves Duclos, des Transports, Omar Alghabra, et de la Sécurité publique, Marco E. L. Mendicino, dans une déclaration commune. « Les renseignements partagés [mercredi] étaient erronés. »

Aucun détail n’a été offert sur le mécanisme qui expliquerait pourquoi des « renseignements erronés » avaient été transmis par une agence fédérale. Il s’agit d’un virage à 180 degrés par rapport aux informations diffusées mercredi soir par l’ASFC. Dans un courriel envoyé notamment à La Presse, elle avait indiqué que l’exemption des camionneurs canadiens ne serait pas levée.

Cette décision aurait procuré un sursis d’environ une semaine aux camionneurs canadiens. À compter du 22 janvier, les États-Unis devront cesser d’accepter ceux n’ayant pas relevé leur manche à deux reprises.

« C’est un évènement malheureux dans une période où l’industrie est fragilisée », déplore le président de l’Association du camionnage du Québec (ACQ), Marc Cadieux. « Ce n’était pas souhaitable. »

L’ASFC n’a pas répondu aux questions de La Presse à propos des informations diffusées par courriel. Elle a renvoyé les questions vers la déclaration commune des trois ministres. Les informations de l’Agence n’auraient pas été révisées par les ministères concernés, ce qui aurait été à l’origine de la confusion.

Faire dégonfler la pression

Favorables à la vaccination, l’industrie du camionnage et le milieu des affaires demandaient à Ottawa de s’entendre avec Washington et d’attendre encore quelques mois avant de serrer la vis aux conducteurs de poids lourds n’ayant pas reçu deux doses de vaccin.

Ils craignent un nouveau défi logistique qui accentuerait la pression sur les chaînes d’approvisionnement, déjà fragilisées depuis le début de la pandémie, ainsi qu’une pression inflationniste sur les coûts de transport.

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Puisqu’il s’est écoulé plus de 20 heures entre l’annonce de l’ASFC et la sortie d’Ottawa, certaines entreprises de camionnage qui brassent des affaires aux États-Unis se sont retrouvées dans le brouillard.

C’est le cas de Trans-West, qui compte 600 employés. L’entreprise établie à Lachine, dont les camions effectuent des allers-retours vers la côte ouest des États-Unis pour transporter des produits réfrigérés, avait joint certains de ses salariés non vaccinés.

« On leur a dit qu’ils pouvaient faire un ou deux voyages de plus [avant le 22 janvier] parce qu’il s’agissait des informations diffusées », explique son vice-président, gestion des routiers, Pascal Gaudet. « On parle d’une agence fédérale, pas du dépanneur du coin. »

D’après l’ACQ, le taux de vaccination dans l’industrie – déjà ébranlée par une pénurie de main-d’œuvre depuis plusieurs années – correspond au portrait provincial. Au Québec, 82 % de la population âgée de 5 ans et plus est complètement vaccinée.

L’industrie estime qu’il y a 120 000 camionneurs canadiens qui effectuent des trajets transfrontaliers et que 10 % de ceux-ci ne seraient plus autorisés à traverser la frontière en raison des nouvelles exigences. Ottawa chiffre plutôt cette proportion à 5 %, selon une source gouvernementale qui n’est pas autorisée à s’exprimer publiquement.

Cette problématique aurait des répercussions à la fois sur les importateurs et sur les exportateurs. Selon les plus récentes données du ministère des Transports du Québec, environ 70 % de la valeur des échanges entre le Québec et les marchés du nord-est des États-Unis est acheminée par camion.

Moins de capacité

Seulement 2 des quelque 45 chauffeurs de L’express du midi ne sont pas vaccinés. Son président, Pierre Aubin, pourra difficilement dire oui à plus de clients si d’autres entreprises peinent à répondre à la demande.

« Je suis plein, lance-t-il. Même si on m’appelait pour un voyage d’oranges à 25 000 $, je n’ai plus le personnel pour faire cela. Et je ne laisserai pas tomber mes clients réguliers. »

Également administrateur à l’ACQ, M. Aubin a ajouté avoir entendu que le taux de vaccination était moins élevé dans d’autres entreprises.

« Le sursis [jusqu’au 22 janvier], c’était pour prendre une dernière bouffée d’air, et certains l’auraient prise, affirme-t-il. Nous, on s’en sort, mais ce n’est pas comme cela partout. »

Le syndicat des Teamsters, qui affirme représenter 5500 travailleurs du secteur au Québec, a déploré la confusion qui s’est échelonnée sur de nombreuses heures. Étonné de la volte-face, son directeur des communications, Stéphane Lacroix, espère qu’il n’y aura pas d’autres mauvaises surprises du genre.

26 000 

Nombre de chauffeurs qui pourraient se retrouver à l’écart en raison des règles de vaccination, selon l’Alliance canadienne du camionnage et l’American Trucking Associations