La transition énergétique va faire bondir la consommation de certains métaux, notamment pour construire les batteries des voitures électriques. De nouvelles mines sont prévues dans des régions peu habituées à cette industrie. Comment arbitrer le débat ?

« On a rencontré beaucoup de gens opposés à ces mines de la transition énergétique », explique Axelle Ferrant, chercheuse en responsabilité sociale à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui présentait ses travaux au congrès de l’Acfas, à la mi-mai à Ottawa. « Davantage que de gens favorables. »

La question fondamentale que posaient ces opposants, selon Mme Ferrant : ces nouvelles mines sont-elles la seule solution pour la transition énergétique ? « Personne ne remet en cause la nécessité de la transition énergétique. Mais beaucoup se demandent si une transition basée sur le maintien de notre mode de vie, avec des voitures électriques qui remplacent les voitures à essence, est la seule voie possible. Certains se demandent aussi si, en changeant notre mode de vie, les mines ne seront peut-être plus nécessaires. »

PHOTO FOURNIE PAR AXELLE FERRANT

Axelle Ferrant, chercheuse en responsabilité sociale à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

La chercheuse montréalaise a fait ces entretiens dans le cadre d’un large projet sur l’acceptabilité sociale des projets miniers de la transition énergétique. « La question que nous posons est la suivante : l’utilité sociale d’un minerai vient-elle influencer l’acceptabilité sociale des projets miniers ? Peut-être que si on démontre que la voiture électrique est la solution, peut-être que les citoyens vont être plus favorables à ces projets miniers. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE MINING WATCH CANADA

Manifestation contre le projet de mine de lithium Authier

Opposition plus forte en zone récréotouristique

Mme Ferrant a publié l’an dernier, dans la revue VertigO de science de l’environnement de l’UQAM, un premier volet de ces recherches. Il s’agit d’une analyse de 300 articles de presse sur le projet de mine de lithium Authier, près de Val-d’Or. Après avoir été conçu pour échapper à une évaluation du BAPE (en restant sous une production de 2000 tonnes par an), il a fait face à une mobilisation citoyenne à cause de sa proximité avec une source d’eau. L’an dernier, l’entreprise Sayona a décidé de le soumettre volontairement au BAPE.

La proposition de Mme Ferrant : faire de ces projets miniers une « arène pour débattre démocratiquement des trajectoires de la transition ».

On voit une différence dans l’acceptabilité sociale des projets miniers de la transition énergétique, selon qu’ils sont situés dans une région minière ou une région plus récréotouristique. L’opposition est plus forte dans les régions récréotouristiques. Cela dit, le projet Authier est situé dans une région minière.

Axelle Ferrant, chercheuse en responsabilité sociale à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

Les transports collectifs sont plus difficiles à mettre en place dans les régions récréotouristiques, par exemple les Laurentides, à cause de la plus faible densité de population. Les opposants aux projets miniers se rendent-ils compte qu’en refusant que la transition énergétique se fasse en remplaçant les voitures à essence par des voitures électriques, ils compromettent potentiellement leur mode de vie basé sur la voiture ?

« Ce n’est pas abordé par les opposants, répond Mme Ferrant. Je pense que ce qui est important, c’est d’avoir le débat de société sur les trajectoires de la transition énergétique. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Filiale de Sayona Mining, d’Australie, Sayona exploite la mine du Complexe Lithium Amérique du Nord (LAN) à La Corne, en Abitibi.

Produire dans des pays pauvres ?

Refuser que les nouvelles mines de la transition énergétique s’installent chez nous n’équivaut-il pas à profiter des normes environnementales moins exigeantes d’autres pays ?

L’hiver dernier, la 6e session de l’Assemblée sur l’environnement de l’ONU faisait état des risques et des promesses que les minerais nécessaires à la transition énergétique peuvent avoir sur les pays pauvres. La République démocratique du Congo, par exemple, produit près des trois quarts du cobalt du monde, et les Philippines et l’Indonésie, la moitié du nickel. Le lithium, qui complète le triumvirat minier de la transition énergétique, est le seul qui soit produit en majorité dans un pays riche, l’Australie.

« C’est une question qui ne ressort pas du tout quand on parle à la population, dit Mme Ferrant. On entend par contre plusieurs responsables politiques dire que c’est mieux de faire ces mines chez nous plutôt qu’en Chine ou dans des pays pauvres dans des conditions déplorables. »

Mme Ferrant estime que cet argument est fallacieux pour quatre raisons. « Poser la question dans ce sens-là empêche de repenser notre système, nous impose une trajectoire extractiviste pour la transition énergétique. Deuxièmement, il ne faut pas oublier que, majoritairement, ce sont les mêmes entreprises minières au Nord et au Sud. Normalement, elles doivent avoir les mêmes normes même s’il y a moins de législation environnementale au Sud. Et plusieurs études montrent que la relance minière en Europe et en Amérique du Nord ne se traduit pas par une diminution du nombre de projets extractifs dans le Sud, parce que la demande augmente fortement mondialement. »

L’argument selon lequel il vaut mieux produire au Canada, sous un régime environnemental rigoureux, que dans des pays pauvres cache finalement un autre débat, sur la nature de l’économie souhaitée pour une région ou pour un pays.

« Même si on choisit la trajectoire de transition énergétique qui ne change pas notre mode de vie, on peut choisir une économie basée sur le récréotourisme plutôt que sur l’activité minière. C’est un choix de développement industriel. Si des régions ou des pays veulent ancrer leur développement économique dans l’extraction, c’est leur choix. »

Lisez l’article « La face sombre de la transition énergétique »
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    Augmentation de la demande mondiale de cobalt entre 2017 et 2022
    Source : Agence internationale de l’énergie
    40 %
    Augmentation de la demande mondiale de nickel entre 2017 et 2022
    Source : Agence internationale de l’énergie
  • 43 fois
    Augmentation de la demande mondiale de lithium prévue en 2040, par rapport à 2020
    Source : Agence internationale de l’énergie