Les cliniques de kétamine vantent leurs traitements sur les réseaux sociaux et leurs sites web. Mais certaines de leurs affirmations sont exagérées, incomplètes ou inorthodoxes. En voici la preuve.

Sélection des clients

La quasi-totalité des cliniques au cœur de ce reportage propose de traiter moult troubles avec la kétamine. Or, d’après les lignes directrices canadiennes élaborées en 2021, cette substance devrait être réservée aux adultes souffrant de dépression résistante aux approches conventionnelles. Deux des cliniques écrivent respecter les « lignes directrices » ou les « meilleures pratiques », alors qu’elles font fi de cette recommandation.

  • Field Trip Health écrit pouvoir utiliser la kétamine pour soigner de nombreux troubles, y compris l’épuisement professionnel. En 2022, la chaîne canadienne avait annoncé aux États-Unis qu’elle en offrirait gratuitement pendant un mois aux employés mis à pied par Meta, X (alors appelé Twitter) ou d’autres entreprises du même secteur.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE FIELD TRIP HEALTH

    Field Trip Health écrit pouvoir utiliser la kétamine pour soigner de nombreux troubles, y compris l’épuisement professionnel. En 2022, la chaîne canadienne avait annoncé aux États-Unis qu’elle en offrirait gratuitement pendant un mois aux employés mis à pied par Meta, X (alors appelé Twitter) ou d’autres entreprises du même secteur.

  • La chaîne de cliniques Numinus, aussi présente à Montréal, serait prête à offrir de la kétamine à des adolescents. Or, d’après les médecins chercheurs interrogés par La Presse, le profil de sécurité est encore incertain chez les jeunes – ce qui rend cette utilisation prématurée. « Il est vrai que certaines données manquent encore, alors nous sommes très prudents, assure la psychiatre Hyehyun Paek, qui prescrit la kétamine aux clients de Numinus. La personne la plus jeune que nous avons traitée à la clinique de Montréal avait 19 ans. Nous en avons refusé des plus jeunes après avoir soupesé les pour et les risques. »

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE NUMINUS

    La chaîne de cliniques Numinus, aussi présente à Montréal, serait prête à offrir de la kétamine à des adolescents. Or, d’après les médecins chercheurs interrogés par La Presse, le profil de sécurité est encore incertain chez les jeunes – ce qui rend cette utilisation prématurée. « Il est vrai que certaines données manquent encore, alors nous sommes très prudents, assure la psychiatre Hyehyun Paek, qui prescrit la kétamine aux clients de Numinus. La personne la plus jeune que nous avons traitée à la clinique de Montréal avait 19 ans. Nous en avons refusé des plus jeunes après avoir soupesé les pour et les risques. »

  • Des schémas malsains d’attachement aux questionnements existentiels en passant par les désordres alimentaires, le Canadian Centre for Psychedelic Healing (CCPH) propose lui aussi de traiter nombre de problèmes autres que la dépression avec la kétamine.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DU CCPH

    Des schémas malsains d’attachement aux questionnements existentiels en passant par les désordres alimentaires, le Canadian Centre for Psychedelic Healing (CCPH) propose lui aussi de traiter nombre de problèmes autres que la dépression avec la kétamine.

  • Le centre ontarien Victoria Wellness, qui n’a pas répondu à nos questions, affirme que la kétamine est « la meilleure option pour traiter la dépendance à la cocaïne », alors que cela n’a pas été démontré, affirment les médecins et chercheurs interviewés.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE VICTORIA WELLNESS

    Le centre ontarien Victoria Wellness, qui n’a pas répondu à nos questions, affirme que la kétamine est « la meilleure option pour traiter la dépendance à la cocaïne », alors que cela n’a pas été démontré, affirment les médecins et chercheurs interviewés.

  • Braxia Health précise pour sa part qu’employer la kétamine hors dépression est « expérimental ». Son président – aussi chercheur en psychiatrie – a contribué à élaborer les lignes directrices canadiennes.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE BRAXIA HEALTH

    Braxia Health précise pour sa part qu’employer la kétamine hors dépression est « expérimental ». Son président – aussi chercheur en psychiatrie – a contribué à élaborer les lignes directrices canadiennes.

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Promesses

Susciter des attentes démesurées par rapport à la kétamine est dommageable. Car le désenchantement qui s’ensuit convainc souvent les patients que leur cas est désespéré. D’après les lignes directrices canadiennes, « les patients doivent être informés […] des preuves limitées concernant la prévention des rechutes après un traitement aigu ». Ce dont beaucoup de cliniques ne semblent pas toujours tenir compte.

  • « Le programme de Haven peut changer de façon spectaculaire le parcours de ses patients », affirme son site. Où l’on trouve aussi des témoignages, tous cotés cinq étoiles, disant par exemple : « Je n’avais aucun espoir. C’était ma dernière chance de traitement ». On y lit que 75 % à 85 % de ses patients résistants aux traitements « obtiennent un soulagement notable ». Un pourcentage bizarrement élevé comparativement aux résultats des études scientifiques, estiment les experts.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE HAVEN

    « Le programme de Haven peut changer de façon spectaculaire le parcours de ses patients », affirme son site. Où l’on trouve aussi des témoignages, tous cotés cinq étoiles, disant par exemple : « Je n’avais aucun espoir. C’était ma dernière chance de traitement ». On y lit que 75 % à 85 % de ses patients résistants aux traitements « obtiennent un soulagement notable ». Un pourcentage bizarrement élevé comparativement aux résultats des études scientifiques, estiment les experts.

  • La kétamine a « un haut niveau d’efficacité scientifiquement prouvé », écrit le CCPH. Mais d’après les chercheurs interviewés, les preuves sont encore minces pour de nombreux troubles.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DU CCPH

    La kétamine a « un haut niveau d’efficacité scientifiquement prouvé », écrit le CCPH. Mais d’après les chercheurs interviewés, les preuves sont encore minces pour de nombreux troubles.

  • « De la survie à la vitalité. Une thérapie assistée par les psychédéliques qui change votre façon de vivre », dit l’une des nombreuses annonces Facebook de Numinus. Sur Instagram, une autre annonce intime : « Le soulagement est à portée de main, commence dès aujourd’hui », en proposant d’obtenir « un plan de traitement auprès d’un psychiatre en trois étapes simples et rapides ».

    ANNONCE DE NUMINUS SUR FACEBOOK

    « De la survie à la vitalité. Une thérapie assistée par les psychédéliques qui change votre façon de vivre », dit l’une des nombreuses annonces Facebook de Numinus. Sur Instagram, une autre annonce intime : « Le soulagement est à portée de main, commence dès aujourd’hui », en proposant d’obtenir « un plan de traitement auprès d’un psychiatre en trois étapes simples et rapides ».

  • Braxia Health prévient que « l’efficacité à long terme de la kétamine n’est pas encore totalement connue ». Elle avise aussi que des gens auront besoin de rappels « généralement environ une fois par mois ».

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE BRAXIA HEALTH

    Braxia Health prévient que « l’efficacité à long terme de la kétamine n’est pas encore totalement connue ». Elle avise aussi que des gens auront besoin de rappels « généralement environ une fois par mois ».

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Mises en garde

Le manque de mises en garde et les affirmations erronées publiées par certaines cliniques risquent d’empêcher leurs clients de consentir aux traitements de façon éclairée. « Il n’existe pas d’études à long terme et le risque à long terme est inconnu », selon les lignes directrices, qui enjoignent aux médecins d’en informer les patients.

  • Haven écrit que la kétamine se révèle agréable, mais peut être « stressante » ou « générer de brefs moments de peur » – sans allusion aux risques de vivre un bad trip, comme en a vécu une cliente, encore hantée par son souvenir.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE HAVEN

    Haven écrit que la kétamine se révèle agréable, mais peut être « stressante » ou « générer de brefs moments de peur » – sans allusion aux risques de vivre un bad trip, comme en a vécu une cliente, encore hantée par son souvenir.

  • Field Trip déclare que « la psychothérapie assistée par la kétamine est puissante, mais douce », sans faire allusion à la possibilité de vivre une expérience difficile. Sa section intitulée « How does ketamine feel ? » n’en fait pas davantage mention. Il faut explorer minutieusement son site pour trouver de l’information sur la prévention des bad trips. Ses dirigeants ont dit à La Presse : « Tout ne peut pas se trouver sur les sites. Nous sommes dans une ère où les gens ne lisent pas beaucoup. C’est pourquoi nous avons des dossiers d’information un peu plus détaillés pour nos clients et des professionnels de la santé pour répondre à toutes les questions. »

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE FIELD TRIP HEALTH

    Field Trip déclare que « la psychothérapie assistée par la kétamine est puissante, mais douce », sans faire allusion à la possibilité de vivre une expérience difficile. Sa section intitulée « How does ketamine feel ? » n’en fait pas davantage mention. Il faut explorer minutieusement son site pour trouver de l’information sur la prévention des bad trips. Ses dirigeants ont dit à La Presse : « Tout ne peut pas se trouver sur les sites. Nous sommes dans une ère où les gens ne lisent pas beaucoup. C’est pourquoi nous avons des dossiers d’information un peu plus détaillés pour nos clients et des professionnels de la santé pour répondre à toutes les questions. »

  • Numinus a pour sa part jugé préférable de préciser que la kétamine peut aussi causer des hallucinations « terrifiantes ». De telles expériences peuvent provoquer des prises de conscience salutaires, précisent les psychiatres, à condition que l’accompagnement soit optimal.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE NUMINUS

    Numinus a pour sa part jugé préférable de préciser que la kétamine peut aussi causer des hallucinations « terrifiantes ». De telles expériences peuvent provoquer des prises de conscience salutaires, précisent les psychiatres, à condition que l’accompagnement soit optimal.

  • Selon Victoria Wellness, qui n’a pas répondu à nos questions, la kétamine « ne crée pas de dépendance » et « il s’agit donc d’un choix sûr et pratique » pour ceux qui craignent de devenir accros. Il est pourtant établi qu’elle peut causer une dépendance psychologique – ce qu’ont vécu des Américains après s’en être fait prescrire et livrer à domicile. Cela est toutefois moins susceptible de se produire dans le cadre d’une utilisation supervisée et temporaire.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE VICTORIA WELLNESS

    Selon Victoria Wellness, qui n’a pas répondu à nos questions, la kétamine « ne crée pas de dépendance » et « il s’agit donc d’un choix sûr et pratique » pour ceux qui craignent de devenir accros. Il est pourtant établi qu’elle peut causer une dépendance psychologique – ce qu’ont vécu des Américains après s’en être fait prescrire et livrer à domicile. Cela est toutefois moins susceptible de se produire dans le cadre d’une utilisation supervisée et temporaire.

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Prêts

Chaque séance de kétamine coûte de 200 $ à 1000 $, selon son mode d’administration et l’accompagnement reçu. Des cliniques invitent donc leurs clients à obtenir un prêt auprès d’un tiers. Or, « un médecin ne peut diriger un patient vers des institutions financières pour qu’il contracte un prêt pour obtenir des soins, et ce, même s’il n’en retire aucun avantage », nous a écrit le Collège. La présidente de l’Ordre des psychologues, Christine Grou, n’avait jamais eu vent d’une telle pratique avant notre appel. « Les professionnels de la santé ne peuvent pas s’immiscer dans les affaires personnelles de leurs clients et doivent éviter les conflits d’intérêts », rappelle-t-elle.

  • Les cliniques Numinus renvoient leurs clients au site de Medicard/iFinance pour obtenir un prêt, précisant n’avoir reçu « aucun avantage financier ou paiement pour ce service ». Aucun patient ne s’est prévalu de cette option à la clinique de Montréal, nous a dit Numinus.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE NUMINUS

    Les cliniques Numinus renvoient leurs clients au site de Medicard/iFinance pour obtenir un prêt, précisant n’avoir reçu « aucun avantage financier ou paiement pour ce service ». Aucun patient ne s’est prévalu de cette option à la clinique de Montréal, nous a dit Numinus.

  • Comme plusieurs concurrentes, la clinique Haven met en évidence un hyperlien intitulé « options de financement ».

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DE HAVEN

    Comme plusieurs concurrentes, la clinique Haven met en évidence un hyperlien intitulé « options de financement ».

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« On ne vend pas de miracle ! »

Les plaintes en déontologie étant confidentielles, impossible de savoir si les professionnels de la santé associés à des cliniques de kétamine en ont déjà fait l’objet. Des médecins prescrivent tous les jours des traitements « hors indication », parce que de nouvelles découvertes scientifiques démontrent que cela serait utile. Cela n’est pas illégal. Mais pour être éthique, cette utilisation nécessite un niveau suffisant de preuves et une grande transparence avec le patient. Le Code de déontologie des médecins leur interdit de prescrire ou fournir toute substance psychotrope (ce qu’est la kétamine) « sans raison médicale suffisante ». Le code précise aussi qu’ils ne peuvent pas recourir à des « traitements insuffisamment éprouvés, sauf dans le cadre d’un projet de recherche et dans un milieu scientifique reconnus ». Et qu’ils doivent « mentionner les réserves appropriées qui s’imposent ». En entrevue, la présidente de l’Ordre des psychologues, Christine Grou, rappelle : « On ne vend pas de miracle ! Alors on doit faire preuve de modération, appuyer ses propos sur des faits scientifiquement reconnus et être encore plus prudent quand la méthode utilisée est novatrice. Il faut éclairer le client sur les restrictions, les limites, les contre-indications et les autres options. »