Quarante-huit heures après avoir obtenu l’ordonnance, la journaliste de La Presse a reçu le médicament à la maison, sans avoir eu besoin de parler à un pharmacien.

Une fois l’ordonnance d’Ozempic en main, deux choix s’offraient à nous sur la plateforme Livewell : la faire parvenir à notre pharmacie locale ou à son partenaire en ligne. Nous avons choisi cette dernière option.

Livewell fait affaire avec une importante pharmacie en ligne dont le siège est en Ontario, Pocketpills, pour la livraison.

Après avoir créé notre profil, nous avons reçu la confirmation que notre commande – dont le prix pour le premier mois d’injections s’élevait à 300 $ – était en cours de traitement. Nous avons ensuite été interrogé sur notre désir de « consulter un pharmacien », offre que nous avons déclinée.

Le nom d’une pharmacienne exerçant à Brampton était noté sur le reçu, accompagné des 18 pages de la notice du médicament, en anglais seulement.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La livraison est assurée par Pocketpills, importante pharmacie en ligne dont le siège est en Ontario.

Deux jours plus tard, la commande était livrée au domicile de notre journaliste.

Une ordonnance, deux livraisons

Nous avons poussé l’expérience plus loin. Une fois la commande complétée avec Pocketpills, nous avons demandé à Livewell de transférer notre ordonnance à une seconde pharmacie, celle-là située à Montréal.

« Bien sûr ! Nous l’avons envoyée », nous a-t-on informé par message texte quelques heures à peine après en avoir fait la demande.

La nouvelle pharmacie nous a informé que notre médicament pouvait être livré dès le lendemain. Au bout du fil, il ne restait qu’à confirmer que nous n’avions pas d’allergies et que nous n’étions pas enceinte pour procéder à l’envoi. Nous n’avons jamais parlé au pharmacien.

La commande – dont le prix s’élevait cette fois à 237,05 $, soit environ 20 % de moins qu’avec Pocketpills – est arrivée 24 heures plus tard. Nous avons ainsi obtenu deux livraisons d’Ozempic avec la même ordonnance.

Un courriel détaillé

Appelé à réagir, le cofondateur et PDG de Pocketpills, Raj Gulia, soutient que l’entreprise « a pour principe fondamental d’assurer des soins exemplaires aux patients et de respecter scrupuleusement les règles de l’Ordre ».

Lorsqu’un patient « ignore intentionnellement le message de consultation », l’entreprise envoie un courriel détaillé sur l’utilisation du médicament, sa conservation et ses effets secondaires courants. « Si le patient a des questions, nous l’encourageons à nous contacter par courriel, par téléphone ou par texto », a-t-il déclaré par courriel.

« Étant donné que votre ordonnance a été envoyée par une clinique, nous sommes convaincus que le praticien a procédé à une évaluation approfondie avant de la rédiger », a ajouté M. Gulia.

« Je suis en colère »

« Je suis interloqué. Je suis sans mots. Ça me met en colère », lance le président de l’Ordre des pharmaciens du Québec, Jean-François Desgagné. « Je pense qu’il est urgent que les organismes régulatoires, notamment Santé Canada, fassent du ménage là-dedans. »

« C’est un médicament que tu injectes. Ce n’est pas deux Tylenol. Ça prend une prise en charge du praticien qui va rédiger l’ordonnance. » Le fait que l’ordonnance a été envoyée à une pharmacie puis à une autre sans qu’un suivi soit assuré est tout aussi problématique, estime-t-il.

Il précise qu’une ordonnance ne représente pas pour le pharmacien une obligation de servir, mais plutôt une autorisation à le faire.

Comme pharmacien, si je juge qu’un médicament est dangereux pour vous, je ne suis pas obligé de vous le vendre. J’ai un travail à faire en amont.

Jean-François Desgagné, président de l’Ordre des pharmaciens du Québec

La porte-parole médias de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), Caroline Dupont, abonde dans le même sens. « C’est le pharmacien qui a l’obligation déontologique de s’assurer que l’ordonnance est valide », dit-elle.

M. Desgagné prend le temps de parler à tous ses patients. « Des fois, ça ne fait pas leur affaire, parce qu’ils trouvent ça long. Mais je réussis toujours à trouver des choses qu’ils ne savaient pas et qu’ils sont surpris d’apprendre. »

« Ce n’est pas parce que tu es une pharmacie en ligne que tu es dispensé de tes devoirs », dit-il, ajoutant que les responsabilités déontologiques « ne sont pas modulées d’une région à l’autre, d’une enseigne à l’autre, d’un médium à l’autre ».

Nous n’avons pas pu vérifier si un pharmacien en personne aurait refusé de nous servir Ozempic.