La Presse a pu inventer une masse corporelle et fournir de fausses photos pour obtenir une ordonnance d’Ozempic

Une plateforme de télésanté québécoise permet aux patients qui souhaitent perdre du poids d’obtenir le populaire médicament d’ordonnance Ozempic en quelques clics.

La Presse a pu se faire prescrire des injections de sémaglutide – commercialisé sous le nom Ozempic – par l’intermédiaire du site Livewell sans avoir eu à consulter un médecin en personne, au téléphone ou en visioconférence. Ce sont des publicités diffusées sur les réseaux sociaux de Meta qui ont attiré notre attention.

CAPTURE D’ÉCRAN FAITE PAR LA PRESSE

Publicité de Livewell sur les réseaux de Meta

Ozempic est indiqué dans le traitement du diabète de type 2, mais la marque de la société pharmaceutique danoise Novo Nordisk est devenue archipopulaire après avoir été vantée comme coupe-faim par des influenceurs, ce qui a contribué à d’importantes ruptures de stock l’an dernier.

Pour obtenir une ordonnance sur Livewell, il suffit de répondre à un bref questionnaire de santé et de soumettre une photo de sa silhouette. Des prescripteurs du site – une infirmière praticienne spécialisée enregistrée au Québec dans notre cas – se fient uniquement à la bonne foi des internautes, révèle l’enquête de La Presse.

Les vérifications sont minimales, si bien qu’il est aisé de mentir tout au long du processus, avons-nous démontré.

Un IMC revu et corrigé

Après avoir saisi des mesures fictives – une taille de 5 pieds 2 pouces et un poids de 160 livres – correspondant à un indice de masse corporelle (IMC) de 29, nous sommes tombé sur un message indiquant que le programme de perte de poids de Livewell ne nous « convient pas pour le moment ».

L’entreprise nous a incité à vérifier les données saisies, au cas où il y aurait des erreurs. Nous en avons profité pour ajuster notre poids à 175 livres pour atteindre un IMC de 32.

Nous avions désormais accès à la prochaine étape du formulaire, où nous avons répondu par la négative à une trentaine de questions : aucun antécédent de dépression, de schizophrénie, de trouble bipolaire, d’anxiété ou de trouble alimentaire, etc.

  • Avec un poids annoncé de 160 lbs, il semble que le programme de perte de poids de Livewell ne convenait pas…

    CAPTURE D’ÉCRAN FAITE PAR LA PRESSE

    Avec un poids annoncé de 160 lbs, il semble que le programme de perte de poids de Livewell ne convenait pas…

  • Mais en changeant cette métrique pour 175 lbs, il était possible de passer aux étapes ultérieures.

    CAPTURE D’ÉCRAN FAITE PAR LA PRESSE

    Mais en changeant cette métrique pour 175 lbs, il était possible de passer aux étapes ultérieures.

  • Lors du test, nous avons affirmé vouloir perdre de 10 à 25 livres.

    CAPTURE D’ÉCRAN FAITE PAR LA PRESSE

    Lors du test, nous avons affirmé vouloir perdre de 10 à 25 livres.

  • Livewell se fie à la bonne foi des internautes pour la véracité des informations fournies.

    CAPTURE D’ÉCRAN FAITE PAR LA PRESSE

    Livewell se fie à la bonne foi des internautes pour la véracité des informations fournies.

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

Puis, nous avons fait part d’un objectif fictif : perdre de 10 à 25 livres. Nous avons précisé au fil de nos réponses que notre poids nous préoccupait depuis plusieurs années, mais que nos efforts pour perdre du poids par l’exercice s’étaient révélés infructueux.

Enfin, nous avons envoyé une photo, prétendument de notre gabarit, tirée d’une banque internet libre de droits. La procédure complète a duré moins de cinq minutes. Une carte d’assurance maladie était exigée pour vérifier notre identité.

Dans les jours suivants, la prescriptrice nous a demandé par la messagerie de notre compte Livewell à quand remontait notre dernier examen complet en laboratoire et « s’il y avait des anomalies constatées ». Réponse inventée : « L’an dernier, pas d’anomalies. » Elle nous a aussi questionné sur les médicaments actifs ou les suppléments que nous prenions. « Pas de médicaments sur prescription », avons-nous répondu.

Aucun bilan sanguin n’a été exigé et aucune vérification n’a été faite dans notre dossier médical.

Le jour même, un second message apparaissait dans notre messagerie : « J’ai approuvé Ozempic pour vous ! »

Conseils et avertissements

Nous avons tenté à nouveau l’expérience, cette fois avec une date de naissance fictive. Notre véritable date de naissance figurait pourtant sur la carte d’assurance maladie que nous avions soumise. L’ordonnance a aussi été approuvée.

La « consultation » en ligne, qui se résume à un simple questionnaire, coûte 99 $, payables à l’avance. La somme est remboursée aux clients dont la prescription est refusée.

Notre ordonnance était accompagnée de nombreux conseils et avertissements. « Prendre note que cette consultation virtuelle ne remplace en aucun cas un examen physique ou bien une visite en personne chez votre MD/IPS [médecin ou infirmière praticienne spécialisée] de famille. Il est de votre responsabilité de consulter en personne si votre état de santé se détériore pendant le traitement. »

Alexandre Banville, porte-parole de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, rappelle que le code de déontologie de la profession prévoit qu’un membre « ne peut émettre une ordonnance que lorsque celle-ci est nécessaire sur le plan clinique ». Sans commenter ce cas précis, il rappelle par courriel que, pour déterminer cette nécessité, « une infirmière doit notamment procéder à l’évaluation requise par l’état de santé du client, que ce soit par visioconférence ou en personne ».

Le Collège des médecins a pour sa part déclaré que « si un médecin émettait une ordonnance par télémédecine sans parler au patient ni l’évaluer, il pourrait ainsi contrevenir à plusieurs articles du Code de déontologie », ajoutant qu’un dossier d’enquête pourrait être ouvert si un signalement lui était transmis. Dans notre cas, aucun médecin n’est intervenu.

Ruptures de stock

En 2023, des diabétiques de type 2 ont dû se tourner vers d’autres traitements en raison d’une pénurie d’Ozempic dans plusieurs pharmacies du Québec.

Santé Canada indique sur son site internet que la pénurie d’Ozempic s’est résorbée le 17 février dernier. Or, l’équilibre reste fragile : le fabricant suggère toujours aux pharmaciens de limiter les renouvellements d’ordonnance à 30 jours d’approvisionnement. Notre ordonnance a été approuvée pour deux mois.

Du côté de Novo Nordisk, fabricant d’Ozempic, une porte-parole rappelle que le traitement n’est pas approuvé par Santé Canada pour la gestion du poids chronique. « Tout Canadien qui s’est vu prescrire Ozempic doit avoir une discussion détaillée avec son médecin sur l’utilisation appropriée du médicament », précise-t-elle.

Des bienfaits et des effets secondaires

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le médicament Ozempic a été autorisé au Canada en 2019.

Le médicament Ozempic, autorisé au Canada en 2019, est vite devenu un outil de choix pour traiter les personnes souffrant de diabète de type 2. Il est conçu pour imiter le métabolisme naturel du sucre en stimulant l’insuline tout en empêchant la sécrétion de glucagon. Or, le traitement par injections, qui affecte également la zone du cerveau responsable de la satiété, s’est aussi démarqué par sa capacité à faire perdre du poids. Le médicament peut toutefois entraîner des effets secondaires comme une inflammation de l’estomac, des calculs biliaires et des malaises. Un avertissement sur les instructions du médicament prévient d’ailleurs d’un risque possible de tumeur de la thyroïde, y compris de cancer.