L’accès à Ozempic par l’intermédiaire de plateformes en ligne, sans aucune consultation en personne, inquiète de nombreux experts des troubles alimentaires.

« C’est épouvantable. Ça n’a pas de bon sens. Je suis sidérée », s’exclame la Dre Marie-Philippe Morin, spécialiste en obésité et en médecine métabolique.

Prescrire un tel médicament sans avoir rencontré le patient au préalable peut être dangereux, soutient-elle.

Au moins, si c’était une consultation téléphonique, ce serait déjà moins pire. Je ne sais pas comment on peut pratiquer la médecine et avoir bonne conscience [en agissant ainsi].

La Dre Marie-Philippe Morin

Avant d’autoriser des injections d’Ozempic, il faut minimalement un questionnaire complet, un examen physique et des prises de sang, indique la Dre Morin. Le patient doit également être suivi par « une équipe multidisciplinaire avec nutritionniste et kinésiologue ».

Une première rencontre avec un de ses patients dure généralement de 30 à 45 minutes. « Il faut voir si c’est la bonne chose pour le patient, quels sont ses besoins, s’il a des troubles alimentaires, s’il a une santé mentale instable, détaille-t-elle. La prise en charge de l’obésité, ce n’est pas juste de prescrire de la médication. »

La Dre Julie St-Pierre, pédiatre et lipidologue spécialisée en recherche sur l’obésité, est tout aussi préoccupée. « C’est inquiétant de voir que n’importe qui peut l’obtenir en trichant sur son poids. » Elle juge que la pratique de Livewell « n’est pas sécuritaire ».

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La Dre Julie St-Pierre, pédiatre et lipidologue spécialisée en recherche sur l’obésité

Elle déplore l’absence d’une nutritionniste pour accompagner les patients. « La molécule peut aider à contrôler certains signaux de faim et de satiété, mais ça doit surtout s’accompagner d’un changement de plan alimentaire. On ne peut pas s’en passer. »

Évaluer la pertinence

Les spécialistes consultés par La Presse s’entendent : Ozempic est un médicament d’une grande efficacité pour des milliers de patients québécois diabétiques, voire pour des patients obèses, mais son utilisation doit être balisée de manière sérieuse.

« Le recours à Ozempic devrait découler d’une discussion entre un patient et son médecin », renchérit Benoît Arsenault, professeur au département de médecine de l’Université Laval et coprésident de la Société québécoise de lipidologie, de nutrition et de métabolisme.

« Ce n’est pas quelque chose qu’on se fait prescrire sans suivi ni consultation. Ça prend une évaluation globale. Il faut s’assurer que cette molécule-là va aider les bonnes personnes, surtout dans un contexte de rareté du médicament. »

La facilité avec laquelle il est possible de se procurer le médicament inquiète également la Dre Élisabeth Marois-Pagé. Dans sa pratique, la médecin de famille se fait régulièrement demander Ozempic par des patients pour lesquels le médicament n’est pas indiqué.

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La Dre Élisabeth Marois-Pagé, médecin de famille

Beaucoup de patients ont des problèmes d’image corporelle, surtout avec les réseaux sociaux et l’image de la beauté qui est véhiculée dans les médias et partout autour de nous. Ça met des gens à risque de se le procurer sans qu’ils respectent les indications de ce médicament.

La Dre Élisabeth Marois-Pagé

La Dre Marois-Pagé prend alors le temps d’écouter leurs préoccupations, de chercher d’autres solutions et d’aborder la situation avec d’autres professionnels de la santé comme des nutritionnistes, des pharmaciens et des infirmiers. « Je discute avec ces patients-là de leur relation avec leur corps, avec la nourriture, de leur définition de la beauté, [de ce qu’on peut] faire pour qu’ils se sentent mieux sans nécessairement perdre du poids avec Ozempic », détaille-t-elle.

Une combinaison inquiétante

Les cliniciens consultés par La Presse indiquent que la consommation de sémaglutide par des personnes aux prises avec des troubles alimentaires est peu observée au Québec, mais la tendance aux États-Unis les inquiète.

« Il y a deux semaines, j’étais au Congrès international des troubles de l’alimentation, à New York, et il y avait des présentations là-dessus », indique Howard Steiger, psychologue et ancien directeur du Continuum des troubles de l’alimentation (CTA) de l’Institut Douglas. « Mes collègues américains rapportent des problématiques liées à l’abus de ce type de médicaments. »

Le DSteiger souligne que l’anorexie, par exemple, est un trouble dans lequel une personne devient obsédée par le contrôle ou la perte de poids. « J’ai vu des gens faire toutes sortes de choses potentiellement dangereuses », dit-il.

« Est-ce qu’on accepterait demain matin que des sites internet se mettent à annoncer de la morphine, de l’hydromorphone, de l’oxycodone ? Jamais de la vie. C’est la même chose avec Ozempic et les troubles alimentaires, renchérit Jean-François Desgagnés. L’obésité, c’est le combat d’une vie. Des gens vont jusqu’à mourir. C’est une préoccupation fondamentale. »