(Québec) Après avoir accusé samedi les médecins de famille de prendre la population en otage, Christian Dubé adoucit le ton devant eux. Le ministre de la Santé se dit ouvert à prolonger l’entente qui permet le maintien du Guichet d’accès à la première ligne (GAP).

Trois jours après avoir mené une charge à fond de train contre la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le ministre Christian Dubé s’engage maintenant à « ne pas être intransigeant » dans sa négociation avec le syndicat. M. Dubé explique avoir entendu cette demande de la population « de trouver des solutions » plutôt que de se coltailler sur la place publique.

« Je demande la même chose à la direction syndicale de la FMOQ », a déclaré Christian Dubé, mardi. Le ministre affirme avoir espoir d’en arriver à un accord avec le syndicat d’ici le 31 mai, date à laquelle vient à échéance l’entente conclue avec la Fédération au moment du déploiement du GAP, en 2022.

C’est un changement de ton de la part du ministre. Lors du conseil général de la Coalition avenir Québec, samedi à Saint-Hyacinthe, il a accusé la FMOQ d’avoir orchestré une « manœuvre syndicale » en « incitant » les médecins de famille à offrir moins de rendez-vous aux patients dans le GAP, à compter du 1er juin.

« J’accueille [ce changement] très, très, très favorablement », a réagi le président de la FMOQ, le DMarc-André Amyot. « Notre objectif, c’est de s’entendre, à nous aussi. C’est pour ça qu’on a demandé la nomination d’un conciliateur au dossier. Au bénéfice de la population, nous avons toujours répondu présents », a-t-il ajouté en entrevue avec La Presse.

En avril, Christian Dubé a provoqué la colère des médecins en annonçant la fin d’une prime annuelle de 120 $ versée pour chaque patient inscrit à un groupe de médecine de famille (GMF). L’abolition de cette prime risquait de nuire à l’accès au GAP, avait alors prévenu la FMOQ. Le ministre soulevait pour sa part des doutes quant au fait que ces patients, une fois inscrits, avaient bel et bien accès à un médecin.

Un conciliateur a été nommé pour tenter de dénouer l’impasse entre les parties.

Or, Christian Dubé se dit maintenant ouvert à prolonger l’entente – et donc la prime de 120 $ – mais en apportant des « ajustements ».

« Dans les jours qui vont suivre, aujourd’hui le [conciliateur] a une première rencontre et […] pour moi, c’est une des discussions qu’il va y avoir. Est-ce que c’est le bon montant ? On va le discuter à la table de négociation, pas avec vous », a expliqué M. Dubé.

La prime de 120 $ représente une facture de plus de 100 millions par année, puisque quelque 940 000 patients sont inscrits à un groupe de médecine de famille grâce au GAP. Le ministre veut avoir la garantie que ces inscriptions se traduisent par des rendez-vous « au bon patient ».

On est aujourd’hui mardi. L’entente se [termine] vendredi et j’ai souvent vu dans ma carrière des négociations qui finissent à la dernière minute parce que les parties ont trouvé des solutions.

Christian Dubé, ministre de la Santé

Le président de la FMOQ est lui aussi ouvert à des compromis. Par exemple, est-ce qu’une première somme de 60 $ peut être versée à l’inscription, puis une seconde lorsque le patient est vu par le médecin ? propose le DAmyot. « Si le ministre est inquiet qu’on ne voie pas le patient, moi j’ai de l’ouverture parce qu’on les voit, les patients », plaide-t-il.

Un sursis de trois mois

Le syndicat propose à Québec un sursis de trois mois, le temps que le ministre étudie les nouvelles données. Avec l’adoption d’un règlement la semaine dernière, que la FMOQ critiquait également, Christian Dubé a désormais accès à davantage d’informations sur la disponibilité offerte par les médecins de famille et les cliniques médicales et sur la prise en charge de patients vulnérables.

Le ministre dit qu’il vient d’avoir les données, on peut-tu les regarder ces données-là ? On peut-tu se donner trois mois d’oxygène au bénéfice de la population ?

Le DMarc-André Amyot, président de la FMOQ

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le DMarc-André Amyot, président de la FMOQ

La Presse a rapporté en avril que la moitié des patients inscrits auprès d’un GMF par l’entremise du nouveau guichet n’ont pas obtenu de rendez-vous médical dans les deux dernières années, selon une source gouvernementale. La FMOQ n’en fait pas la même lecture. Selon le syndicat, les patients ont eu accès aux rendez-vous, mais il admet que les patients pouvaient ne pas provenir du GAP.

« On s’est engagés à donner un rendez-vous par année par patient. Il y en a là-dedans qui vont en avoir besoin de deux ou trois, et pour d’autres, un jeune homme de 35 ans, peut-être [aucun] », illustre le DAmyot qui affirme que les plages ont été remplies par des patients orphelins, qui ne sont pas inscrits.

Il faut rappeler que Québec renégocie en parallèle le renouvellement du contrat de travail des médecins de famille, appelé dans le jargon l’Accord-cadre. M. Dubé a affirmé ne plus vouloir « d’entente à la pièce ».

C’est d’ailleurs en vertu des sommes disponibles dans le dernier Accord-cadre que Québec a financé la prime de 120 $ aux médecins. Selon le cabinet du ministre, l’enveloppe de 500 millions a été entièrement dépensée en primes pour l’accès à la première ligne.

CE QU’ILS ONT DIT

Le gouvernement […] a la responsabilité d’aller chercher une meilleure entente que la première, qu’il a lui-même signée, mais il ne peut pas le faire en sacrifiant les patients, et, malheureusement, c’est exactement ce qu’il est en train de faire en ce moment. Parce qu’il n’a pas négocié d’avance, on se retrouve à trois jours de la date butoir avec des milliers, des dizaines de milliers de patients qui n’ont pas accès à un service de première ligne.

André Fortin, député du Parti libéral du Québec

Quand on nomme un conciliateur, on accepte une pause des hostilités et on se range sur les lignes de côté pour le laisser travailler, on ne contre-attaque pas ses partenaires de négociation dans un évènement partisan comme le ministre Dubé l’a fait devant les militants caquistes.

Vincent Marissal, député de Québec solidaire

Rappelez-vous que la promesse de la CAQ, c’était un médecin pour chaque Québécois […]. Puis on a transformé cet engagement formel en une entente avec les médecins de famille, qui était, et pour citer le ministre à l’époque, une entente historique. Aujourd’hui, cette entente-là vient à terme, et le ministre veut prolonger l’entente sans avoir négocié la suite.

Joël Arseneau, député du Parti québécois