(Ottawa) Il faudra attendre au moins jusqu’en 2027, soit après la prochaine campagne électorale, pour voir l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de troubles mentaux. Le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, a déposé un projet de loi jeudi avec ce nouvel échéancier, causant tristesse et déception parmi les groupes qui attendaient ce changement.

« La situation est tellement difficile et vraiment émotive, mais c’est essentiel que le système soit prêt », a affirmé le ministre Mark Holland, en mêlée de presse jeudi.

Il venait de déposer le projet de loi C-62 visant à reporter de trois ans l’admissibilité à l’aide médicale à mourir des personnes souffrant de maladie mentale, qui devait entrer en vigueur le 17 mars. La question devrait de nouveau être examinée par un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes après son adoption.

« C’est triste. C’est très triste pour les patients qui ont des problématiques de santé mentale et qui attendaient d’être mis sur le même pied que les autres patients », a déclaré à La Presse le président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, le DGeorges L’Espérance.

Il estime que le nombre de patients atteints de troubles mentaux acceptés serait « extrêmement faible » si l’élargissement de l’aide médicale à mourir allait de l’avant.

Ce ne serait pas tous les gens qui ont une problématique de santé mentale, bien évidemment. Une telle évaluation se ferait de façon très professionnelle. On parle de 1 à 2 % des aides médicales à mourir si on se base sur les autres pays, comme la Belgique et les Pays-Bas.

Le DGeorges L’Espérance, président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité

Le fait que les personnes atteintes de troubles mentaux ne puissent pas avoir accès à l’aide médicale à mourir est « discriminatoire », juge le DL’Espérance. Le président du Conseil pour la protection des malades, MPaul Brunet, est du même avis.

« Quelqu’un qui est très gravement malade physiquement peut demander l’aide médicale à mourir, mais quelqu’un qui a une grave maladie psychologique ne peut pas la demander. Il y a une différence qui pourrait peut-être générer une plainte de discrimination contre le gouvernement fédéral », estime MBrunet.

Par ailleurs, tous deux s’inquiètent que cet élargissement de l’aide médicale à mourir n’ait pas lieu si les conservateurs remportent les prochaines élections fédérales. « Tant que les conservateurs seront là, c’est sûr que ce ne sera pas [adopté] », dit le DL’Espérance.

Les conservateurs ont d’ailleurs réclamé jeudi que le gouvernement Trudeau mette fin « immédiatement et définitivement » à l’élargissement de l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de maladies mentales. Elles « méritent un soutien et un traitement, pas la mort », ont-ils fait valoir dans un communiqué.

« Devant la délicatesse du sujet et le manque d’adhésion du public », le Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec, pour sa part, juge sage le choix du gouvernement fédéral de reporter la décision. Le directeur général du regroupement, Steven Laperrière, soutient que l’aide médicale à mourir ne doit pas devenir une solution au manque de soins et de traitements de qualité.

Le son de cloche est le même de la part du groupe Vivre dans la dignité, qui a salué le « courage politique » du ministre Mark Holland et de son collègue à la Justice, Arif Virani.

Sept provinces et l’ensemble des territoires avaient réclamé plus tôt cette semaine une pause indéfinie sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir.

Décalage avec la loi québécoise

La décision d’Ottawa a été bien accueillie par Québec, qui estimait que le gouvernement fédéral tentait d’aller trop vite. Le gouvernement Legault avait choisi de ne pas élargir l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de troubles mentaux dans sa loi adoptée en juin, mais seulement aux personnes souffrant de maladies graves et incurables, comme l’alzheimer. Celles-ci peuvent faire une demande avant qu’elles n’en soient plus capables. Un délai de 24 mois après l’adoption de la loi est prévu avant l’entrée en vigueur de cette mesure.

Or, il reste toutefois un décalage entre la législation québécoise et la législation fédérale sur les demandes anticipées. La législation fédérale ne permet pas qu’elles soient effectuées à l’avance. Les médecins pourraient donc s’exposer à des poursuites criminelles.

« Les conversations vont continuer, mais il n’y a pas de plan de présenter un projet de loi ou d’agir dans ce domaine en ce moment », a répondu M. Holland à La Presse.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, avait réclamé la veille que le gouvernement fédéral reconnaisse la particularité du Québec. Le parti lui demande maintenant de « procéder immédiatement » à une réforme du Code criminel pour permettre les demandes anticipées dans le cas de maladies cognitives dégénératives.

« Ottawa a une responsabilité vis-à-vis des malades et ne peut simplement fermer les yeux en espérant que leurs souffrances s’estompent », a déclaré le porte-parole bloquiste en matière d’aide médicale à mourir, Luc Thériault.

Sur l’accessibilité de l’aide médicale à mourir pour les personnes ayant des troubles de santé mentale, le Bloc québécois préférait un report d’un an au lieu de trois.

Le gouvernement fédéral avait déjà décidé un report d’un an l’an dernier, indiquant que le système de santé et les provinces avaient besoin de plus de temps pour se préparer. MM. Holland et Virani ont offert les mêmes justifications en point de presse pour ce nouveau report de trois ans à la lumière des conclusions du rapport parlementaire déposé plus tôt cette semaine.

Avec la collaboration de Fanny Lévesque, La Presse