Quelle est l’ampleur des surdoses par psychostimulants dans la province ? Impossible à dire. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) n’a pas publié de données sur ces décès depuis 2020. Et ce, même si les intoxications dues à ces drogues ont triplé dans la dernière décennie au Québec, selon des données du Bureau du coroner obtenues par La Presse.

En avril 2022, un homme de 69 ans s’effondre à la sortie de sa maison de chambres à Québec, demandant à l’aide. Son décès est constaté à l’hôpital. En mai, dans la même ville, une femme de 59 ans se plaint de violentes douleurs au dos. Elle perd connaissance dans le portique de son immeuble, en compagnie d’un ami et de deux voisines. Malgré toutes les manœuvres de réanimation cardiaque, elle meurt à l’hôpital.

En juillet, à Trois-Rivières, un homme de 42 ans sans antécédents médicaux connus est retrouvé mort chez lui par des proches. En août, à Sept-Îles, un quinquagénaire s’écroule alors qu’il participe à une fête, autour d’un feu de camp.

Tous ces décès ont en commun d’avoir été causés par une surdose à la méthamphétamine, une drogue stimulante de plus en plus fréquente au Québec, selon les rapports du coroner consultés par La Presse.

Mais si on n’épluche pas un à un les rapports du coroner, il faudra encore attendre jusqu’à 2024 pour avoir un portrait complet des décès liés aux stimulants au Québec pour l’année… 2021.

L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) attend que toutes les investigations du coroner aient été terminées avant de rendre publiques ces données, ce qui peut prendre des années, a confirmé le conseiller en communication de l’Institut, Aurèle Iberto-Mazzali.

Ce délai peut nuire à la prévention des surdoses sur le terrain, affirment des organismes.

Une hausse marquée

Une intoxication à un stimulant – comme la méthamphétamine ou la cocaïne – se traduit généralement par un problème cardiaque qui peut être fatal. Et aucun antidote ne permet de contrer ses effets.

Ces surdoses sont pourtant en hausse, au même titre que celles dues aux opioïdes.

Entre 2010 et 2020, les décès liés aux stimulants (hors cocaïne) ont bondi de 305 % au Québec, passant de 19 en 2010 à 77 en 2020, selon les données du Bureau du coroner obtenues par La Presse.

Les surdoses liées à la cocaïne se sont aussi amplifiées pendant la même période, passant de 44 décès en 2010 à 105 en 2020, une hausse de 139 %.

Quant aux surdoses liées aux opioïdes, elles ont aussi connu une forte hausse de 208 %, passant de 73 en 2010 à 225 en 2020.

Des données absentes

Quelle est l’ampleur des surdoses par stimulants dans la province cette année, en 2023 ? Impossible à dire. Les données sur les surdoses suspectées au Québec, mises à jour par l’INSPQ tous les trois mois, se concentrent principalement sur les opioïdes.

Cette vigie suit l’évolution des intoxications suspectées dans la province en les séparant en trois catégories : les surdoses liées au fentanyl, celles liées aux opioïdes à l’exclusion du fentanyl, et celles dues à toutes les autres drogues ou tous les médicaments confondus.

Or, cette troisième catégorie compte plus de la moitié des surdoses suspectées de la province entre juin 2022 et juin 2023 – soit 211 sur 418 –, selon la dernière mise à jour de l’INSPQ.

Questionné pour avoir plus d’informations sur les substances retrouvées dans cette troisième catégorie, l’INSPQ a indiqué à La Presse que ces renseignements « ne sont pas disponibles ».

Le portrait pourrait toutefois changer, car « des travaux sont en cours pour l’ajout de détails sur la présence d’autres substances, telles que les stimulants », a précisé M. Iberto-Mazzali.

Cette absence de données se répercute dans le portrait pancanadien des surdoses. Dans le dernier rapport de l’Agence de la santé publique du Canada, les données sur les décès liés aux stimulants n’étaient pas disponibles pour le Québec de 2021 à 2023, contrairement à celles d’autres provinces.

Consultez le rapport de l’Agence de la santé publique du Canada

Des données qui pourraient sauver des vies

Connaître plus rapidement le nombre de décès suspectés en raison d’autres drogues que les opioïdes, comme les stimulants, pourrait pourtant sauver des vies, estime Martin Pagé, directeur général de l’organisme montréalais Dopamine.

« Par exemple, là, on travaille pour ouvrir des salles d’inhalation supervisée, mais on n’a pas beaucoup de données sur la consommation de stimulants », illustre-t-il.

Le crack et la méthamphétamine sont souvent consommés par inhalation, mais il n’existe pas encore de centre d’inhalation supervisée à Montréal.

Le tout premier, porté par l’organisme communautaire Benoît Labre dans l’arrondissement du Sud-Ouest, a récemment reçu l’autorisation pour ouvrir ses portes en janvier 2024.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Pagé, directeur général de l’organisme Dopamine

Avoir plus de données permettrait aussi de mieux cibler les gens à risque de surdose, ajoute M. Pagé.

« On sait très bien que ce sont souvent des gens en situation précaire, il y en a qui meurent seuls dans leurs logements, et il faudrait être capable d’aller rejoindre ces communautés-là avec de la prévention efficace », estime-t-il.

Des données d’autant plus importantes qu’au Québec en général, et particulièrement à Montréal, « ce sont les stimulants qui sont consommés en très grande quantité », rappelle Andrée-Anne Parent, professeure de travail social à l’Université de Montréal.

On parle encore de crise des opioïdes, mas tout indique que ce n’est pas la bonne lunette à prendre pour la situation au Québec.

Andrée-Anne Parent, professeure de travail social à l’Université de Montréal

En attendant, la crise continue à prendre de l’ampleur dans les rues.

Pour Jean-François Mary, directeur de l’organisme Cactus au centre-ville de Montréal, le Québec devrait s’inspirer de la Colombie-Britannique. « Là-bas, ils financent des coroners qui travaillent spécifiquement sur les surdoses et qui mettent les données à jour mensuellement, note-t-il. Ça a changé la donne sur le terrain. »

Lisez « Crise des surdoses, crise des psychoses »