La Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ) devrait en faire plus pour sensibiliser ses usagers aux ennuis de santé liés aux feux de camp, croit Daniel Vézina, père de trois enfants asthmatiques. Une étude réalisée en 2009 a soulevé d’importants problèmes de qualité de l’air dans un camping de la SEPAQ sans que ses conclusions sur la santé soient diffusées, a appris La Presse.

En septembre, Daniel Vézina est allé camper au parc national du Mont-Tremblant avec sa famille, mais le week-end ne s’est pas déroulé comme prévu.

Ses enfants ont été gravement incommodés par la fumée des feux de camp, qui enveloppait tout le site. Ils ont dû être médicamentés sur place, des symptômes ont perduré dans les jours suivants et depuis, leur asthme semble s’être aggravé.

M. Vézina, qui ne souffre pas d’asthme, dit avoir ressenti « un brûlement à la gorge, des picotements aux yeux, des maux de tête » qui ont perduré dans les jours suivant la visite, et il éprouve maintenant des ennuis de santé cardiovasculaires. Bien qu’il soit impossible d’établir un lien causal avec certitude, l’homme de 43 ans soupçonne la fin de semaine de camping dans le smog d’y avoir contribué. Entre-temps, il a fait de multiples demandes d’accès aux documents des organismes publics dont il a partagé les fruits avec La Presse.

Étude non rendue publique

À l’été 2009, la Santé publique de la Montérégie et ce qui était alors le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs se sont penchés sur la qualité de l’air dans un camping du parc national de la Yamaska.

Ils ont découvert que l’air y était hautement pollué en soirée, lorsque de nombreux feux de camp étaient allumés. Pendant plusieurs heures, les concentrations moyennes de particules fines ont dépassé jusqu’à 2,5 fois le seuil à partir duquel le ministère de l’Environnement considère que la qualité de l’air est « mauvaise ».

« Une exposition sporadique aux pics de particules fines, comme l’exposition à la fumée des feux de camp, peut occasionner des effets aigus sur la santé, dans les heures ou les jours suivants », notent les auteurs de l’étude. Cela inclut « une aggravation d’une maladie chronique existante, soit cardiaque (arythmie, angine, infarctus, insuffisance cardiaque) ou respiratoire (infection respiratoire, crise d’asthme), pouvant causer une mortalité prématurée ou une hospitalisation excédentaire ».

Par conséquent, les auteurs recommandent « aux personnes souffrant d’asthme, d’une maladie cardiovasculaire ou respiratoire, plus sensibles aux effets des particules fines, d’être vigilantes, et de réduire leurs activités ainsi que leur exposition aux particules fines produites par les feux de camp ».

Mais cette recommandation – ainsi que toute la section consacrée aux effets sur la santé – n’a pas été rendue publique par la SEPAQ. Son Bulletin de conservation 2010 reprend presque intégralement l’étude, à l’exception de ce passage. Depuis, il n’a plus jamais été question de qualité de l’air en lien avec les feux de camp dans ces publications annuelles.

Consultez le bulletin de conservation 2010 de la SEPAQ

« Pratique profondément ancrée »

Loin de décourager l’activité, la SEPAQ multiplie dans ses publications promotionnelles et sur son site web les images de familles réunies autour d’un feu de camp. La Société annonce même des rabais à l’achat de bois : « 1 allume-feu gratuit à l’achat de 2 sacs de bois », peut-on lire dans une brochure du parc national du Bic. L’organisme dit plutôt « refléter le plus fidèlement possible l’expérience vécue dans nos établissements ». Il s’agit d’une « pratique profondément ancrée depuis toujours dans les mœurs et coutumes des amateurs de camping », ajoute le porte-parole Simon Boivin.

La SEPAQ n’était « pas prête à recevoir certaines recommandations pour l’usage des feux de camp », indique Gwendaline Kervran dans le cadre d’une Table nationale de concertation en santé environnementale (TNCSE) au sujet de la fumée des feux de camp tenue en 2013. Mme Kervran est l’une des autrices de l’étude de 2009 sur la qualité de l’air au parc de la Yamaska, et elle ajoute que « dans la même année où l’article est sorti, nous avons eu un signalement d’une personne ayant eu des problèmes cardiaques » à la suite d’un séjour « dans un camping bien enfumé ».

Interpellée à ce sujet, la SEPAQ prétend plutôt que « les chercheurs ont convenu qu’ils n’avaient pas le temps de compléter la section “Effets sur la santé” » avant la publication du Bulletin. La Presse a contacté Mme Kervran pour avoir des précisions concernant ses commentaires lors de la TNCSE, mais elle a refusé de répondre à nos questions.

La SEPAQ estime que les conclusions de l’étude ne peuvent pas être extrapolées « à l’ensemble de campings pour l’ensemble de la saison ».

« Les risques pour la santé étaient “très faibles” », ajoute-t-on, citant un « avis expert » en fait tiré d’un reportage de Radio-Canada sur le sujet.

Une recommandation à publiciser ?

Les experts consultés par La Presse estiment toutefois qu’il serait pertinent de rendre publique la recommandation issue de l’étude concernant les personnes vulnérables. « Cela vaut probablement la peine de le mentionner, mais il est difficile de quantifier le risque réel », dit le professeur Scott Weichenthal, expert en santé environnementale à l’Université McGill.

À ce jour, « il n’y a pas de camping au Québec où les feux de camp sont interdits, ni même où des boucles d’emplacement sans feu de camp sont accessibles », dit M. Boivin, de la SEPAQ. Il existe cependant des aires de feu commune dans certains parcs, et la Société conseille aux usagers de faire un feu « le plus petit possible afin de minimiser les émanations issues de la combustion du bois ».

M. Vézina, lui, souhaite voir des interventions plus concrètes, y compris des avertissements aux campeurs sur les risques et des interdictions de feux dans certains secteurs en fonction des données sur la qualité de l’air en temps réel. « Les risques qui étaient énoncés [dans l’étude] étaient assez horrifiants, je n’aurais jamais mis les pieds dans un camping de la SEPAQ avec tout ça », dit-il.

Rectificatif : En raison de problèmes survenus lors de l’édition du texte, le titre de l’article indiquait que ce sont les problèmes liés à la qualité de l’air qui avaient été tus par la SEPAQ. Ce sont plutôt les problèmes de santé liés à la qualité de l’air qui ont été passés sous silence.