Paul a deux ans et demi et semble en parfaite santé. Pourtant, il vit avec une vingtaine d’allergies qui le rendent « constamment malade », racontent ses parents. Ces derniers peinent à trouver du répit, entre les rendez-vous médicaux et la surveillance qu’exige l’état de santé de leur enfant polyallergique. Selon Allergies Québec, 300 000 personnes vivent avec des allergies alimentaires dans la province. Un nombre en hausse, pour des raisons qui restent mystérieuses.

« Même aller au parc est dangereux », raconte Chloé Gaumont, mère de Paul. Le risque de faire une réaction allergique après avoir touché à un bout d’aliment guette l’enfant à tout moment. Paul est notamment allergique aux œufs, au blé, au lait, à l’avoine et au soya. « Parfois, pour ne pas avoir à dire que ce sont des allergies, j’aimerais que ça porte un autre nom, comme un syndrome », fait valoir Mme Gaumont, en regardant Paul, qui joue avec un stéthoscope en plastique. La réalité du garçon est éloignée de l’idée que beaucoup se font des allergies. « C’est un enfant constamment malade », raconte-t-elle.

À l’automne 2019, Paul a commencé un traitement d’immunothérapie orale. Cette forme de désensibilisation consiste à ingérer chaque jour une petite dose de l’allergène, la protéine de l’aliment causant l’allergie.

Il était en réaction presque tous les jours, on devait toujours aller à l’hôpital. De le voir dans un état critique, c’est vraiment drainant.

Chloé Gaumont

Afin d’éviter qu’il réagisse fortement, sa thérapie a été coupée en deux : une dose d’allergènes le matin et une le soir.

Depuis 10 ans, les allergies sont en hausse, indique le DPhilippe Bégin, allergologue au CHU Sainte-Justine et au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). « Ce n’est pas juste le fait de les rapporter davantage, il y en a vraiment plus qu’avant », précise-t-il. Étant donné que les réactions allergiques sont dues à divers facteurs génétiques et environnementaux, il est difficile de cerner ce qui cause cette augmentation. L’une des possibilités est qu’en étant moins exposé à des virus, le système immunitaire produit une réponse (la réaction allergique) pour combattre une fausse menace (un allergène comme les arachides).

La polyallergie touche le tiers des patients allergiques, indique le DBégin.

Un patient qui a la génétique pour et qui fait beaucoup d’eczéma est à risque de devenir allergique à tout ce avec quoi il va être en contact.

Le DPhilippe Bégin, allergologue

Lorsque l’enfant a la peau craquée en raison de l’eczéma, les allergènes présents dans la maison entrent dans le système par voie cutanée. « Quand ton système voit quelque chose sous ta peau, il pense que c’est un parasite, explique le DBégin. Quand tu as développé des anticorps de cette façon, la prochaine fois que tu vas manger cet aliment par la bouche, tu vas réagir. »

Peu de répit

En janvier 2020, les parents de Paul racontent s’être tournés vers le CLSC des Patriotes, à Belœil, afin d’obtenir de l’aide pour trouver un milieu de garde ou du gardiennage à domicile. « Il ne casait dans aucune catégorie parce qu’il n’a pas de handicap visuel, auditif, intellectuel ou moteur », explique Mme Gaumont.

Aux yeux du gouvernement provincial et fédéral, Paul est pourtant considéré comme étant handicapé, ce qui fournit une subvention au centre de la petite enfance (CPE) qui l’accueille. Le dossier de l’enfant est maintenant rouvert afin d’évaluer ses besoins, assure Marianne Paquette, conseillère aux relations médias du CISSS de la Montérégie-Est.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Paul et sa mère, Chloé Gaumont

Au bout de nombreuses recherches et d’un an de congé sans solde pris par Mme Gaumont, la famille a finalement trouvé un CPE qui a accepté d’accueillir Paul. Le milieu de garde se trouve toutefois dans une autre ville, ce qui implique de plus longs déplacements au quotidien.

Le casse-tête du quotidien

Pour Paul, les allergies ont commencé dès ses premiers mois de vie, alors que son corps était couvert d’eczéma. « Il avait l’air d’un grand brûlé, se rappelle Chloé Gaumont. Il était vraiment plaqué et ça s’infectait. » Selon les spécialistes, l’enfant perdrait certaines de sa vingtaine d’allergies au fil des ans. Mais « le contraire est arrivé », puisqu’il s’est mis à développer des réactions à des aliments qu’il n’avait pas auparavant, souligne Mme Gaumont. Il n’est heureusement plus allergique à la mangue et à l’ananas. « Mais on n’est pas à l’abri qu’il y redevienne allergique », prévient la mère du garçon.

Les deux sœurs de Paul, âgées de 5 et 8 ans, redoutent que leur petit frère fasse une réaction. « Une fois, ma deuxième m’a dit en larmes : ‟Je ne veux pas qu’il meure » », se souvient Chloé Gaumont. Lorsque Paul réagit fortement, il devient enflé en plus d’avoir la gorge et la langue qui piquent, relate Olivier Trottier, père du garçon. « Il tousse beaucoup, jusqu’à vomir, il a une baisse de pression et les yeux qui virent, poursuit le père de Paul. Il devient mou et blanc et là, c’est tout de suite l’Epipen. »

Un manque d’allergologues

À la clinique spécialisée en allergies de Sainte-Justine, près de 300 enfants sont traités chaque année en immunothérapie orale. En raison du manque d’allergologues, il est impossible d’offrir ce service à tous les patients qui en ont besoin. Une situation « crève-cœur », selon le DPhilippe Bégin, puisque l’allergie peut disparaître lorsque la désensibilisation est faite tôt dans la vie de l’enfant. « On est potentiellement en train de manquer une fenêtre d’opportunité pour les guérir », se désole-t-il. Le déficit d’allergologues est si important que bien des patients n’arrivent pas à avoir un diagnostic, se désole le DBégin. Il faut repenser le système et l’offre de services « si l’on veut continuer d’être pertinents », conclut-il.

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Nombre d’allergènes prioritaires, soit les arachides, le blé, le lait de vache, la moutarde, les noix, les œufs, les poissons, mollusques et crustacés, le sésame et le soya

Source : Allergies Québec

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Nombre d’aliments recensés au Canada pouvant causer des réactions allergiques

Source : Allergies Québec