(Ottawa ) Supermax Healthcare Canada inc., la filiale canadienne d’une entreprise de la Malaisie soupçonnée d’avoir recours au travail forcé dans la fabrication d’équipements de protection individuelle, a décroché plus d’un demi-milliard de dollars en contrats du gouvernement fédéral et du gouvernement du Québec depuis le début de la pandémie de COVID-19, a appris La Presse.

Supermax Healthcare Canada inc., qui a pignon sur rue à Longueuil, a obtenu l’équivalent de 221 millions de dollars en contrats du gouvernement fédéral pour la fourniture de gants jetables.

À cette somme, il faut aussi ajouter 330 millions en contrats accordés par le gouvernement du Québec pour l’achat d’équipements de protection individuelle depuis le début de la pandémie, en mars 2020, a confirmé le Centre d’acquisition gouvernemental (CAG).

La société malaisienne Supermax Corp. a été mise au banc des accusés le mois dernier par les États-Unis et le Royaume-Uni parce qu’elle est soupçonnée d’avoir recours au travail forcé dans la fabrication de ses produits.

Les soupçons sont tels que la U.S. Customs and Border Protection a lancé le mois dernier un mandat de saisie des gants jetables fabriqués par Supermax Corp. et ses filiales à tous les points d’entrée aux États-Unis. En Grande-Bretagne, un comité parlementaire a récemment lancé une enquête, à l’initiative des députés travaillistes, dans la foulée de l’annonce de la décision des autorités américaines.

Une enquête parlementaire demandée à Ottawa

À Ottawa, les partis de l’opposition réclament à leur tour la tenue d’une enquête parlementaire afin de faire la lumière sur la décision du gouvernement Trudeau d’accorder l’équivalent de 221 millions de dollars en contrats à la filiale canadienne d’une entreprise de la Malaisie visée par des allégations d’une forme d’esclavage moderne, soit le travail forcé.

Le Parti conservateur, le NPD et le Bloc québécois estiment qu’une telle enquête s’impose, puisque le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement, responsable de l’attribution des contrats, avait été informé en janvier que Supermax Corp. faisait l’objet de telles allégations.

Le Ministère a fait des vérifications au début de l’année auprès de Supermax Healthcare Canada inc. uniquement. Mais Ottawa a décidé de suspendre les livraisons à venir seulement après que les autorités américaines eurent annoncé le mandat de saisir les produits de Supermax Corp. et de ses filiales en octobre.

« On ne peut pas tourner les coins rond quand il est question des droits de la personne. C’est scandaleux », a protesté le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice.

Il y a visiblement eu de l’aveuglement volontaire de la part du gouvernement fédéral dans ce dossier puisque le Ministère a été informé des allégations dès janvier. Une enquête parlementaire s’impose.

Pierre Paul-Hus, député du Parti conservateur du Canada

« La pandémie ne justifie d’aucune façon l’attribution d’importants contrats à une entreprise qui ne respecte pas les droits de la personne. Il est interdit d’importer des marchandises issues du travail forcé et rien ne justifie que le gouvernement n’ait pas respecté ses propres règles », a affirmé la députée Julie Vignola, porte-parole du Bloc québécois en matière d’approvisionnement.

Supermax Corp. a engagé une firme indépendante pour réaliser un audit complet de ses opérations conformément aux indicateurs de travail forcé de l’Organisation internationale du travail. Le rapport de cet audit est attendu à la mi-novembre.

Situation prise « très au sérieux » à Québec

À Québec, au cabinet de la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, on assure prendre la « situation très au sérieux ». Le Centre d’acquisition gouvernemental a confirmé à La Presse avoir fait affaire avec Supermax Healthcare Canada pour l’achat d’équipements de protection individuelle pour un montant total de 330 millions depuis le début de la pandémie, en mars 2020. Québec assure n’être lié actuellement à aucun contrat actif avec Supermax Healthcare Canada.

« Maintenant, le Centre d’acquisition gouvernemental a demandé un avis juridique afin de connaître tous les leviers légaux contre des entreprises visées par ce genre d’allégation », a expliqué le cabinet de la ministre LeBel. Le CAG a précisé avoir été informé de ces allégations le 20 octobre dernier.

« Nous sommes toujours ouverts à améliorer nos processus contractuels à la lumière de ces nouvelles informations », a-t-on ajouté. Pour l’heure, « lors des processus d’octroi contractuel et d’acquisition, le CAG exige que les compagnies adjudicataires détiennent tous les certificats, normes, et accréditations délivrées par les instances concernées, tel que Santé Canada », précise-t-on.

Le NPD et les conservateurs en rajoutent

Selon le député Alexandre Boulerice, il est évident que le gouvernement fédéral n’a pas fait ses devoirs dans ce dossier.

Tu ne peux pas te contenter de faire des vérifications sommaires. L’excuse de la pandémie, on ne peut pas la sortir à toutes les sauces, surtout quand on parle d’esclavage moderne.

Alexandre Boulerice, député du Nouveau Parti démocratique

Le député conservateur Pierre Paul-Hus a soutenu que le gouvernement canadien aurait pu demander un rapport exhaustif de son ambassadeur en poste en Malaisie ou dans un pays limitrophe sur la situation des droits des travailleurs dès qu’il a été saisi des allégations.

« Ce qui me choque, c’est que c’est finalement les États-Unis qui ont forcé le gouvernement canadien à agir. Nous sommes à la remorque des décisions américaines. Plusieurs questions demeurent sans réponses », a-t-il déploré.

Le Canada s’est doté d’une politique prohibant l’importation de marchandises produites par le travail forcé. Cette politique a même été incorporée dans la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), le nouvel accord de libre-échange négocié par les trois pays lorsque l’administration de Donald Trump était au pouvoir à Washington. Cette loi a reçu la sanction royale le 12 mars 2020.

Dans un communiqué de presse, Supermax Healthcare Canada inc. a affirmé avoir offert « sa pleine collaboration » au ministère des Services publics et de l’Approvisionnement afin de faire toute la lumière sur les allégations qui ont mené à la décision de l’agence américaine U.S. Customs and Border Protection de suspendre l’importation de gants jetables de son partenaire Supermax Corp. et certaines de ses filiales.