(Montréal) Une jeune mère inuite de 24 ans est descendue de son vélo, jeudi, à Montréal, après avoir traversé le Canada pour sensibiliser les gens sur sa route à la question du suicide chez les Autochtones.

Hannah Tooktoo avait quitté Victoria, en Colombie-Britannique, le 16 juin dernier, sans être vraiment certaine de pouvoir accomplir un tel périple, elle qui est étudiante en arts visuels au Collège Dawson à Montréal.

« Je suis dans la meilleure forme que j’aie eue depuis des années ! », a lancé la jeune femme radieuse lors d’un rassemblement visant à souligner son exploit.

« Ç’a été très bon pour moi, pour mon corps et pour mon âme. »

Le périple de 55 jours prend fin alors qu’il y a trois jours à peine, la ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, qualifiait de « très, très inquiétant » l’état de situation dans le Grand Nord québécois.

La Presse avait révélé, dans les jours précédents, que 19 personnes s’étaient donné la mort dans le Grand Nord au cours des six premiers mois de 2019, un chiffre qui pourrait sembler assez modeste, mais qui représente une crise alarmante lorsqu’on considère que le territoire en question ne compte que 14 villages regroupant quelque 13 000 habitants.

Accueil chaleureux

Hannah Tooktoo, qui a parcouru un trajet un peu plus au nord que la traditionnelle Transcanadienne, a ainsi traversé non seulement des villes, mais aussi plusieurs communautés autochtones à travers le pays.

Elle n’a pas caché avoir été incertaine quant à la façon dont son message serait reçu, une inquiétude qui n’était pas fondée, a-t-elle découvert : « Les gens ont été très accueillants, ce qui m’a surprise au début, parce que peu de gens veulent parler du suicide. C’est un sujet lourd, c’est personnel. Plusieurs personnes ont été affectées par le suicide, particulièrement les Autochtones et les Inuits et je voulais en parler. Les gens ont été très accueillants et très ouverts, ce qui a été pour moi une belle surprise. »

Elle n’avait pas organisé de tournée comme telle, se présentant ici et là dans des communautés autochtones sans crier gare : « Dans les premiers villages, je me présentais aux bureaux du conseil de bande et je leur disais : Bonjour, je m’appelle Hannah et je traverse le Canada à vélo ! Et ils me faisaient une place, m’invitaient à manger et on s’assoyait pour parler de leur communauté, de comment le suicide les avait affectés et comment ils essayaient de s’attaquer au problème. C’était fabuleux d’avoir de telles conversations. »

Le mot s’est cependant passé et, quelques reportages en cours de route aidant, la donne a changé : « Vers la fin, des gens regardaient mon trajet et me disaient : je suis ici, on va faire un événement ! Et ils organisaient des événements d’eux-mêmes. Ç’a été un privilège pour moi de pouvoir leur parler et de les écouter. »

« C’est devenu beaucoup plus gros que je m’imaginais. Plusieurs personnes se sont manifestées par le biais de ma page Facebook, par Twitter et d’autres réseaux sociaux pour me raconter leurs propres histoires et m’envoyer des mots d’encouragement et d’amour », raconte-t-elle, visiblement émue.

Découragement quotidien

L’aventure ne fut pas pour autant une balade de tout repos, ni un plaisir continu. Lorsqu’on lui demande si elle a eu des moments de découragement, la réponse ne se fait pas attendre : « Oui ! Tout le temps. Chaque fois que je me réveillais, je me disais que j’étais fatiguée, que j’avais mal partout et que je ne passerais pas au travers. Mais après les premiers dix kilomètres, je savais que je serais correcte, que mon corps reprendrait le rythme et que tout irait bien. Il y a eu des moments où c’était très difficile et j’essayais de m’encourager en me disant : allez, juste un autre kilomètre, on verra ce que ça donne et ça marchait. »

À l’opposé, toutefois, la jeune femme a vécu des moments de grâce sur son engin.

« À un certain moment, j’étais en train de grimper en Colombie-Britannique, j’allais très lentement et, en regardant la vue magnifique, je me suis mise à pleurer de gratitude. Me voilà, en train de me battre contre la montagne, en train de suer, mais je pleure de gratitude ! », raconte-t-elle avec un grand sourire.

Les larmes sont aussi revenues en fin de parcours, pour une tout autre raison : « Ça faisait 55 jours que je n’avais pas vu ma fille et elle est toute petite, trois ans. Ç’a été dur pour moi et pour elle. »

« Elle s’est beaucoup ennuyée de moi et moi d’elle », dit-elle, expliquant que les larmes ont coulé à flots lorsqu’elles ont été réunies. « Depuis mon retour, elle est collée sur moi ! »