Québec sert un avertissement au fédéral au cas où il serait tenté de lier l'argent qu'il lui versera pour la santé à certaines conditions: ce n'est pas à Ottawa de décider comment il dépensera ses sous.

Alors que les sommes des transferts fédéraux pour la santé sont toujours en négociation avec les provinces, la possibilité qu'Ottawa impose une enveloppe exclusivement destinée aux soins à domicile fait sourciller le ministre québécois de la Santé, Gaétan Barrette.

«Une chose est certaine: ce n'est pas le rôle du gouvernement fédéral de développer des programmes de soins à domicile ou tout autre programme de juridiction provinciale en santé», affirme-t-il en entrevue.

Les libéraux de Justin Trudeau ont promis en campagne électorale d'injecter «immédiatement» la somme de 3 milliards sur quatre ans spécifiquement pour les soins à domicile à travers le pays.

Cet engagement ne s'est toutefois pas concrétisé dans le budget déposé par le ministre des Finances, Bill Morneau, le mois dernier. Ce n'est que partie remise, disent les libéraux fédéraux, alors que se poursuivent en parallèle les négociations avec les provinces sur les transferts fédéraux.

«La décision (quant à savoir si l'argent pour les soins à domicile) fera partie des transferts ou pas n'a pas encore été prise, indiquait la ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, dans une mêlée de presse le 24 mars. Il y a certainement eu de bonnes discussions sur la possibilité de l'avoir dans une enveloppe séparée.»

C'est que Mme Philpott souhaiterait être certaine que l'argent ne soit pas dépensé n'importe comment par les provinces.

«Nous ressentons une responsabilité comme gouvernement de s'assurer que ces investissements additionnels en soins à domicile, qu'il y ait un certain accord (quant à la façon dont ils) seront utilisés et ce à quoi nous devrions nous attendre comme résultat, ce à quoi les Canadiens devraient s'attendre comme résultat», avait-elle expliqué.

Or, l'imposition de conditions pour de l'argent destiné à un poste budgétaire de compétence provinciale - comme la santé - contrevient au principe de «fédéralisme asymétrique» prôné traditionnellement par le Québec.

«On est capable de démontrer que l'argent qui va venir du fédéral va être utilisé adéquatement, assure M. Barrette. Mais il n'est pas question pour nous de signer une entente qui va dire: voici, vous faites telle chose dans tel secteur.»

L'enjeu est plutôt théorique, puisque M. Barrette assure que les soins à domicile font de toute façon partie des priorités en santé à Québec. Le ministre soutient avoir indiqué à son homologue fédérale qu'il n'était «pas question» de revenir sur les principes du fédéralisme asymétrique et qu'il aurait bénéficié d'une oreille attentive de la part de Mme Philpott.

«Je n'ai pas besoin de me faire imposer des règles, j'ai besoin d'avoir ces sommes-là. Je ne peux pas être plus clair que ça», explique-t-il.

Dans une déclaration envoyée par courriel, Mme Philpott réitère que rien n'a encore été décidé.

«Nous avons eu de bonnes discussions lors de la réunion des ministres de la Santé qui s'est tenue à Vancouver à la fin janvier, et je rencontrerai mes homologues de nouveau dans les prochains mois», écrit-elle.

Transferts en santé

Les négociations avec les provinces pour un nouvel accord sur la santé sont encore dans une phase préliminaire, mais les provinces et Ottawa espèrent régler la question avant la fin de l'année.

Le temps presse, car l'entente actuelle vient à échéance en 2017.

Il s'agit là de sommes colossales. Pour 2016-2017, Québec recevra 8,3 milliards en transferts pour la santé, une somme qui représente malgré tout moins de 20 % des dépenses de la province dans cette sphère.

M. Barrette aimerait voir ce ratio passer à 25 %. Et comme ses collègues d'autres provinces aux prises avec une population vieillissante, il aimerait que le calcul soit modulé selon la démographie. Les provinces de l'Ouest, avec leurs populations plus jeunes, seraient moins favorables à cette idée.

Le ministre a par ailleurs dit craindre qu'Ottawa choisisse d'augmenter les transferts en santé, mais coupe dans d'autres transferts. «Ce serait très mal reçu si on augmentait d'un côté pour baisser de l'autre», a-t-il noté. Il n'a toutefois aucun indice que les troupes de Justin Trudeau s'apprêteraient à aller dans ce sens.