Du Lipitor, du Plavix ou de l'Effexor au même prix que le générique ou presque? C'est ce qu'offrent une multitude de cartes de fidélisation de médicaments qui circulent sur le marché. Mais attention: malgré ce qu'elles prétendent, plusieurs de ces cartes pourraient vous faire payer vos médicaments plus cher. Et l'Ordre des pharmaciens du Québec songe maintenant à les interdire.

Depuis janvier dernier, les programmes de fidélisation permettant aux patients d'obtenir des médicaments d'origine au même prix ou presque que les médicaments génériques se sont multipliés au Québec. Complexes et souvent mal comprises, ces cartes créent un malaise dans l'industrie.

«On n'aime pas, à l'Ordre des pharmaciens, tout programme de fidélisation à la marque, a dit à La Presse Manon Lambert, directrice générale de l'Ordre. Mon conseil d'administration m'a donné le mandat de voir si on peut interdire les cartes par le code de déontologie. Est-ce qu'on a les bases juridiques pour aller jusque là? C'est ce qu'on est en train de voir.»

Un fonctionnement obscur

Le fonctionnement des cartes de fidélisation est qualifié d'«obscur», autant par l'Ordre des pharmaciens que par l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires. En gros, les entreprises qui les émettent remboursent la différence entre le générique et le médicament d'origine au patient qui choisit ce dernier.

Le hic survient pour les 60% de patients québécois qui sont assurés par un régime privé. Ces régimes assument la plus grosse portion de la facture des médicaments. Or, contrairement au patient, les régimes privés ne sont pas remboursés par le programme de fidélisation et doivent donc payer plus chaque fois qu'un patient choisit un médicament d'origine.

Les modalités sont différentes pour chaque carte, ce qui crée un véritable casse-tête.

«Moi qui suis à l'Ordre des pharmaciens, je ne saurais même pas vous dire quelles cartes ont quels impacts», dit Manon Lambert.

«Il y a de quoi en perdre son latin», confirme Johanne Brosseau, conseillère principale pour la firme de consultants Mercer, qui prétend qu'ultimement, ce sont les assurés des régimes privés qui font les frais de ces cartes.

«Chaque fois qu'un médicament d'origine est choisi plutôt qu'un générique, les assureurs paient la différence, puis se retournent et imposent des hausses de primes aux promoteurs de régimes. Ultimement, ce sont les syndicats, les employeurs et les assurés qui paient», dénonce-t-elle.

Selon elle, les cartes de fidélité «encouragent un comportement chez un consommateur qui va à l'encontre de son propre intérêt, sans qu'il s'en rende compte».

Notons que les cartes de fidélisation n'ont pas d'impact sur le régime public d'assurance médicaments géré par la Régie de l'assurance maladie du Québec, puisque celle-ci rembourse toujours le prix le plus bas, soit celui du générique.

Oliver Nemeskéri, vice-président au marketing chez STI Technologies, l'une des principales sociétés émettrices de cartes fidélité au pays, affirme que son entreprise ne fait «qu'offrir un choix au patient».

Ces cartes font-elles ultimement grimper le coût des médicaments pour les assurés des régimes privés au Québec? «Je ne peux répondre à ça», a dit M. Nemeskéri.

Pfizer offre aussi des cartes de fidélité pour neuf de ses médicaments.

«Pour ce qui est des bénéficiaires d'un régime d'assurance privé, vu la multitude de régimes privés et leur complexité, le programme a été conçu pour répondre aux besoins de la plupart des assurés du Québec», dit Julie-Catherine Racine, porte-parole de Pfizer.

«Des problèmes» au privé

De leur côté, les assureurs privés confirment que les cartes sont problématiques.

«On considère que rembourser le client alors que nous n'avons pas la possibilité de rembourser le prix du médicament le moins dispendieux, ça cause des problèmes. Il a actuellement un problème avec l'interprétation de la loi», dit Yves Millette, vice-président principal, Affaires québécoises à l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes.

Le ministre Réjean Hébert s'est dit «préoccupé» cet hiver par les cartes de fidélisation, mais il s'en remet aujourd'hui à l'Ordre des pharmaciens, qui dit vouloir organiser une rencontre avec tous les intervenants concernés, en novembre prochain.

«Nous n'avons pas de solution concrète à vous proposer aujourd'hui. Le ministre est préoccupé par la tournure que ça peut prendre. C'est pour ça qu'il faut se pencher là-dessus et regarder ça», a dit l'attachée de presse du ministre Hébert, Ariane Lareau.