Claude Paquin, 72 ans, vivait dans son logement de Sainte-Adèle depuis 13 ans. Ses revenus étaient modestes. En théorie, en vertu du Code civil, il était impossible de l’évincer de son logement. Sauf que Mme Paquin ignorait tout de cette législation. Quand ses nouveaux propriétaires lui présentent une résiliation de bail en 2022, elle signe donc, convaincue qu’elle ne peut refuser.

« Ils voulaient habiter le logement : j’étais persuadée qu’ils avaient le droit de faire ça », raconte Mme Paquin. Mais quelques mois plus tard, une amie l’informe de ses droits : elle correspond à tous les critères de la loi que l’ancienne co-porte-parole de Québec solidaire Françoise David a fait adopter en 2016. Elle a plus de 70 ans, elle habite depuis plus de 10 ans dans son logement et dispose de revenus de moins de 38 000 $ par an.

J’ai envoyé aux propriétaires une copie de la loi. Ils m’ont appelée, la femme du couple pleurait au téléphone, elle disait que c’était beaucoup de stress. Mais le stress, il était des deux côtés ! Moi, je ne me trouvais pas de logement !

Claude Paquin

Car la recherche de logement est extrêmement ardue, constate rapidement Mme Paquin, qui payait 900 $ pour un cinq pièces et demie. Elle voit des logements minuscules, sombres, hors de prix. Cette recherche effrénée lui cause « beaucoup de détresse », raconte-t-elle. « Je me disais : si je ne trouve pas, je vais me retrouver à la rue ! »

Parallèlement, elle entame un processus au tribunal administratif du logement (TAL) pour faire annuler la résiliation de bail. Elle allègue que le formulaire censé informer les locataires âgés de leurs droits ne figurait pas dans le document fourni par le couple propriétaire. « Eux ont prétendu devant le tribunal m’avoir remis les deux feuilles. Moi, je maintiens que ce n’est pas le cas. »

Nous avons tenté de joindre les propriétaires, qui n’ont pas donné suite à notre demande d’entrevue. En novembre 2023, le juge Daniel Gilbert a finalement tranché en leur faveur. « Le Tribunal estime donc que la locataire a consenti à la reprise de logement. »

Claude Paquin a donc dû quitter son logement en décembre 2023. Elle a fini par trouver un appartement qui lui convient, mais elle verse 400 $ de plus par mois.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Claude Paquin

Je suis en train de vider mes FERR. Avec des faibles revenus, honnêtement, on prie quasiment pour mourir jeune. Je ne veux pas être à la charge de mes enfants.

Claude Paquin

Elle a repris des petits contrats de révision linguistique, afin de boucler son budget.

Pour elle, les aînés devraient être mieux informés des dispositions actuelles, que la majorité d’entre eux ignore. « Le gouvernement n’a rien fait pour informer les aînés de cette loi. »

D’importantes pressions pour partir

Gérontologue social et anthropologue de la santé, Julien Simard étudie depuis dix ans la question des évictions d’aînés. Il publiera sous peu un livre intitulé Vieillir et se loger en contexte de gentrification à Montréal. Selon lui, la « loi Françoise David » est « intéressante sur papier, mais dans les faits, elle ne protège pas tant que ça les aînés ».

Des personnes âgées protégées par la loi peuvent subir d’importantes pressions, voire de l’intimidation, de leur propriétaire, pour partir, dit-il.

Ça peut prendre une méchante colonne pour rester là. On voit que certaines personnes qui sont stressées ou ont peur préfèrent s’en aller.

Julien Simard, Gérontologue social et anthropologue de la santé

Larisa Tilina est de ces aînés qui se battent pour rester dans leur logement. À 77 ans, la femme d’origine ouzbèke est à quelques mois du délai de 10 ans dans un même logement prévu par la loi. En août 2023, le spéculateur Henry Zavriyev achète l’immeuble de 17 logements où elle loue un trois pièces et demie, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Elle paie un loyer mensuel de 676 $. « Avant son achat, c’était un immeuble bien tenu, les propriétaires répondaient rapidement aux demandes », dit-elle.

Mais à l’automne 2023, après l’achat par M. Zavriyev, elle découvre une punaise sur son sofa. Elle signale rapidement la situation. Un exterminateur est envoyé sur place, mais il ne traite que le logement de Mme Tilina, alors que l’infestation est probablement beaucoup plus répandue, croit-elle. Résultat : l’infestation revient, progresse et devient rapidement impossible à maîtriser.

Son fils Andrei tente à de très nombreuses reprises de joindre le représentant de M. Zavriyev, David Mimoun, qui ne lui répond à peu près jamais. En octobre, Mme Tilina porte plainte à l’arrondissement, où les choses bougent très lentement.

De son côté, M. Zaviryev indique avoir procédé « rapidement » aux traitements requis. De premières exterminations sont effectuée le 14 et le 28 septembre septembre et une autre le 18 octobre. « Lorsque les faits nous ont été signalés, la situation était déjà hors de contrôle », affirme-t-il.

En désespoir de cause, Larisa Tilina doit déménager chez ses fils, puisque la situation, chez elle, est intenable. Elle habite chez ses enfants pendant près de six mois, contaminant au passage la maison de l’un de ses fils avec des punaises. « Mon frère et moi, on ne pouvait pas l’héberger pendant une certaine période, on a donc dû payer un Airbnb pour qu’elle y habite. Ça nous a coûté plus de 2000 $ », relate son fils.

« Nous reconnaissons qu’il s’agit d’une situation regrettable, mais qui demeure hautement exceptionnelle », indique M. Zaviryev. Au cours du mois de janvier, le propriétaire plaide avoir fait traiter tous les logements de l’immeuble, dont certains étaient difficilement accessible.

Mme Tilina et son fils en sont persuadés : le propriétaire fait tout pour la pousser à partir. « C’est du harcèlement, de l’inaction totale face aux problèmes pour qu’elle quitte le logement. Ma mère ne veut pas déménager », dit Andrei Tilin. En janvier, le propriétaire a finalement fait réaliser une extermination qui est venue à bout des punaises. Larisa TIlina est de retour chez elle.

« Nous avons agi avec diligence pour embaucher l’exterminateur, n’avons exercé aucune pression et n’avons aucune intention que Mme Tilina quitte son logement », réplique M. Zavriyev, qui se dit « ouvert » à avoir une discussion pour une éventuelle compensation.

Des modifications à la loi ?

Des cas de personnes âgées évincées, le député Andres Fontecilla en a vu beaucoup défiler dans son bureau de circonscription. C’est pourquoi il a proposé, l’automne dernier, de modifier la loi pour la rendre encore plus sévère. Il proposait d’abaisser à 65 ans l’âge où un locataire ne peut plus être évincé, de faire passer de 10 à 5 ans le nombre d’années qu’il aurait dû passer dans son logement et aussi, d’augmenter le seuil de revenu admissible.

« Ce sont trois éléments qui permettraient d’améliorer grandement la situation des aînés et surtout, surtout, d’éviter une très grande détresse et, peut-être, que des aînés ne se retrouvent en situation d’itinérance », a dit M. Fontecilla il y a six mois. La CAQ a cependant rejeté ces modifications et le projet de loi 31 a été adopté, sans ces nouvelles dispositions, la semaine dernière.