Depuis 2004, la cinéaste Manon Barbeau va vers les communautés autochtones avec ses studios roulants, appelés Wapikoni mobiles. Ces roulottes, équipées en matériel audiovisuel, donnent aux jeunes Amérindiens la chance de s'exprimer par le biais de la vidéo et de la musique. Depuis sa mise sur pied, c'est plus de 2000 adolescents, dans 21 communautés, qui ont participé au projet. Et leurs créations ont remporté plus de 50 prix dans plusieurs festivals à travers le monde. La Presse et Radio-Canada décernent donc à Mme Barbeau le titre de Personnalité de la semaine.

Le Wapikoni mobile est un studio de formation et de création qui favorise la communication entre les jeunes et l'émergence de nouveaux talents. «Nos escales, de cinq semaines, permettent aux jeunes d'apprendre les différents métiers associés à la production audiovisuelle ou musicale », explique Manon Barbeau. Créé par la cinéaste, le Wapikoni mobile a été cofondé avec le Conseil de la Nation Atikamekw et le Conseil des jeunes des Premières Nations du Québec et du Labrador.

En plus de l'aspect didactique, le Wapikoni mobile permet aussi aux jeunes autochtones de faire entendre leurs voix et d'élargir leurs horizons. «C'est aussi une maison des jeunes. Un endroit où ils peuvent passer du temps. Nos participants sont souvent aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou des envies suicidaires. Nous, on va vers eux, avec nos roues», souligne-t-elle.

Manon Barbeau insiste aussi sur le fait que ces studios produisent un patrimoine culturel important. «On a réalisé jusqu'à maintenant 478 films contemporains sur les Premières Nations. Ce n'est pas rien. Et plusieurs d'entre eux ont été tournés dans leur langue», dit-elle.

Wapikoni, qui signifie «fleur», est aussi le nom de la jeune fille à qui est dédié le projet : Wapikoni Awashish. Cette dernière a travaillé sur un scénario de fiction (La fin du mépris) avec la cinéaste, au début des années 2000. «Cette fille me fascinait, elle avait une histoire de vie tellement douloureuse. Sa mère était décédée des suites d'une overdose. Mais en même temps, Wapi avait une telle résilience. Elle aimait tellement la vie», avoue Manon Barbeau. En mai 2002, l'auto dans laquelle se trouvait Wapikoni a percuté un camion forestier illégalement stationné en bordure d'une route, en pleine nuit. Elle a perdu la vie.

L'avenir

Manon Barbeau l'admet sans détour : 2011 a été une année diffic i le pour le Wapikoni mobile. L'organisme a perdu la moitié de son budget annuel quand Service Canada s'est retiré du projet sans préavis.

«On était identifié comme défunt, mais on s'est relevé. Santé Canada a pris le relais. Et surtout, les communautés autochtones se sont engagées davantage. Leur soutien a été phénoménal. Ça, c'est réconfortant. Mais on est à la recherche de nouveaux partenaires financiers, autochtones et non autochtones », affirme la cinéaste.

Quand on parle d'avenir, Manon Barbeau s'emballe et énumère tous les nouveaux projets associés au Wapikoni. L'équipe vient d'acquérir un studio mobile moderne. «Auparavant, on n'avait que les deux roulottes d'occasion, où le studio de son était installé dans la douche de la salle de bains. Notre nouveau studio peut rouler n'importe où. Une des deux vieilles remorques n'allait plus très loin. Nous avons aussi une équipe volante et des studios permanents», souligne-t-elle.

L'organisme se prépare aussi à lancer le site Musique Nomade. On pourra y découvrir plusieurs musiciens des Premières Nations du Québec. «On trouvait qu'on exploitait peu notre volet musical. Les artistes semi-professionnels et professionnels vont pouvoir publier de la musique et des vidéoclips sur leur profil », explique-t-elle.

«On veut aussi être plus présents dans le reste du Canada. On s'aperçoit que les Premières Nations à l'extérieur de la province en connaissent très peu sur leurs semblables québécois. C'est comme si nos autochtones étaient doublement isolés», ajoute la cinéaste.

Parallèlement, le Wapikoni attire l'attention à l'étranger. Des échanges ont eu lieu avec des communautés du Pérou, du Brésil et du Chili. « Une délégation de la Bolivie s'est même rendue à la réserve de Lac-Simon récemment. Les jeunes ont discuté et se sont trouvés des points communs», avoue-t-elle.

Manon Barbeau espère que le Wapikoni sera , un jour, entièrement géré par les communautés autochtones. « J'adore ce projet et j'y mets beaucoup d'efforts. Mais je m'ennuie du contact que j'avais avec les jeunes sur le terrain au début. Et j'ai un scénario de fiction qui est presque terminé. J'ai aussi le désir d'écrire un autre roman. La gestion n'est pas ma nature profonde », conclut-elle.