Serge Arsenault a remporté son pari. L'espace de deux courses, il a réuni à Québec et à Montréal des cyclistes parmi les meilleurs du monde. Après une carrière bien remplie, le propriétaire du canal Évasion entend maintenant se consacrer entièrement à ce projet un peu fou: donner au Québec une épreuve cycliste professionnelle de calibre international pour «au moins 30 ans».

Le 10 septembre, vers 16h, le champion de France Thomas Voeckler a lancé une attaque juste devant le Château Frontenac. Il restait un kilomètre à la toute première course ProTour disputée en Amérique. Le Français a pris le peloton par surprise, a remporté l'épreuve et a offert au public massé sur la Grande-Allée un final digne des meilleures classiques européennes.

«C'était un peu l'image rêvée que je me fais du vélo», explique l'homme derrière les Grands Prix cyclistes de Québec et de Montréal, Serge Arsenault. «Organiser un événement de cette ampleur s'apparente à monter un spectacle. Je me sentais comme un auteur qui regarde une première. Il y avait beaucoup d'attentes.»

La course de Montréal, disputée deux jours plus tard, a été épargnée par la pluie et s'est déroulée sans anicroche: l'organisateur pouvait souffler. Il avait réussi son pari, et offert aux Québécois une course de haut niveau. Pour son engagement et la grande réussite de ce projet d'envergure, La Presse et Radio-Canada nomment Serge Arsenault Personnalité de la semaine.

Une course «pour longtemps»

Après l'épreuve, il a fait ses valises et est parti pour le nord du Québec, avec trois de ses proches collaborateurs. De longues heures de route et un voyage en hydravion plus tard, il était dans une pourvoirie près de la frontière du Labrador.

«Je ne suis pas urbain trop, trop, raconte-t-il. J'habite à Knowlton, pratiquement sur une ferme. Je suis gaspésien d'origine. J'ai besoin de ces grands espaces-là.»

Pendant quatre jours, il s'est coupé du monde pour faire le bilan des dernières semaines et préparer les courses de 2011. «Le boulot est déjà commencé pour la prochaine année: l'analyse des parcours, raffiner le tout, corriger ce qui a moins fonctionné», explique-t-il par le truchement d'un téléphone satellite, lui qui se trouvait encore dans le Nord au moment de cette entrevue.

«Une telle organisation, c'est comme un moteur de F1, il faut que tout soit à point, parfaitement.»

Serge Arsenault n'en est pas à ses premières armes dans l'organisation de courses cyclistes. C'est même la troisième compétition d'envergure qu'il met sur pied. À la fin des années 80, il a tenu la barre du Grand Prix cycliste des Amériques, qui a vécu l'espace de quatre saisons avant de disparaître. Il a ensuite présenté en 1999 le Tour Trans-Canada, qui n'a fait qu'un tour de piste.

Cette fois-ci, promet-il, c'est la bonne. «Maintenant que le peloton, les acteurs principaux du cyclisme ont découvert Québec et Montréal, vous pouvez être sûr que cet événement-là va me survivre longtemps, note l'homme d'affaires de 62 ans. Je vois dans 30, 40 ans encore ces deux courses exister.»

C'est la perte potentielle de la F1 à Montréal qui a été l'élément déclencheur. «J'étais vraiment fâché», raconte M. Arsenault, qui peut aussi se targuer d'avoir fondé la première version du marathon de Montréal, en 1979. Il a joint les maires Gérald Tremblay et Régis Labeaume avec un message bien simple: «Il faut être maîtres chez nous.»

«La baseball nous quitte, la F1 nous quitte parce qu'on n'a pas de contrôle sur nos événements. Il nous faut des événements récurrents», leur a-t-il fait valoir.

Il ne s'agissait pas que de paroles. Serge Arsenault a mis son propre argent en jeu quand est venu le temps de convaincre Québec et Ottawa d'investir. Il épongerait tout dépassement de coût, leur a-t-il promis. «Il fallait garantir aux hommes politiques qu'il n'y aurait pas de mauvaise surprise.»

Cette année, M. Arsenault devra assumer une perte estimée à 1 million sur un budget total de 4,6 millions. Une manière pour lui d'aider un sport qu'il adore et qu'il espère un jour voir bien implanté au Québec.

«J'ai 62 ans, dit-il. Maintenant, ce que je fais pour le vélo, je n'appelle plus ça une carrière, j'appelle ça une passion.»

La boucle est bouclée

Serge Arsenault n'a pas toujours organisé des manifestations sportives. Avant de faire les manchettes, il les rapportait. Il a commencé sa carrière à Radio-Canada vers la fin des années 60, notamment au service des sports. Sa rencontre avec des athlètes, et surtout des athlètes amateurs, allait changer sa vie.

«Je n'ai jamais été passionné par les sports industriels, si vous me passez l'expression: le football, le hockey, le baseball... Les sports internationaux, c'était ça, ma passion. Lorsqu'on couvre un événement à Rome, à Helsinki ou en Afrique, il y a une dimension politique, sociale qui est extrêmement importante.»

«Pour moi, le sport, ce n'est pas une bière à la taverne du coin, dit-il. Le sport, c'est la culture.»

Cette passion pour le sport, et surtout pour le vélo, l'a suivi après sa carrière à Radio-Canada. Il s'est alors lancé dans la production télévisuelle, ce qui l'a mené jusqu'à la barre du canal Évasion. Ce n'est pas un hasard si le diffuseur québécois de la plus grande course cycliste du monde, le Tour de France, est... le canal Évasion.

C'est aujourd'hui son fils, Sébastien, qui a pris les rênes du petit empire médiatique créé par Serge Arsenault.

«L'hiver s'en vient pour moi, donc j'essaie de faire seulement ce qui m'intéresse, ce qui me passionne. C'est pour ça que le rendez-vous avec le cyclisme devenait inévitable.»