En un peu plus d'un an, Béatrice Martin a imposé les chansons de son alter ego Coeur de pirate au Québec et en France, où elle vient d'enflammer le mythique Olympia de Paris après avoir gagné le trophée Victoire de la chanson originale de l'année. À 20 ans, elle a à peine le temps de reprendre son souffle.

En mars 2009, Coeur de pirate, toute seule au piano, a chanté en première partie d'Arthur H. à l'Olympia de Paris. Lundi dernier, la parfaite inconnue d'il y a un an y est retournée en conquérante, forte des trois trophées Victoires remportés deux semaines auparavant à titre d'interprète, d'auteure et de compositrice de la chanson de l'année, Comme des enfants. «L'Olympia, hier soir, était rempli à craquer - environ 2400 spectateurs déchaînés, debout à l'orchestre vidé de ses fauteuils», a écrit le correspondant de La Presse à Paris, Louis-Bernard Robitaille.

Pour ce succès aussi fulgurant qu'exceptionnel qui souligne encore une fois la qualité et l'originalité de ses chansons, La Presse et Radio-Canada nomment Coeur de pirate Personnalité de la semaine.

Le tourbillon

Les récompenses et les statistiques - 225 000 albums vendus en France, 70 000 au Québec, 20 000 en Belgique - sont impressionnantes, mais elles ne disent pas tout. Depuis le lancement de son premier album, au Québec à l'automne 2008 et en France le printemps suivant, Coeur de pirate s'est bâti un public fidèle qui la vénère et la réclame. Tant et si bien que, hormis un intermède de deux semaines au Québec en mai, elle sera retenue en France jusqu'à la fin juillet pour des spectacles qui, la plupart, affichent déjà complet.

Quand La Presse l'a jointe au téléphone jeudi dernier, elle venait de donner un concert devant 300 spectateurs dans un petit village français après avoir chanté pour 3000 fans à Bruxelles, la veille. De Comme des enfants, sacrée chanson de l'année par le public français, elle dit: «Cette chanson-là, la première que j'ai écrite en français dans ma salle de bains, a été snobée par la radio au Québec, sauf Radio-Canada. Ça ne correspondait pas aux standards de la radio commerciale, je peux comprendre. Mais cette même chanson a joué pendant tout l'été et toute l'année en France, et, en concert, ce sont les gens qui la chantent! Je les laisse chanter comme le ferait Patrick Bruel, c'est fou!»

Béatrice Martin se souvient d'avoir été l'une des Révélations Radio-Canada Musique à l'automne 2008: «Radio-Can m'a découverte au tout début quand mon disque n'était pas sorti, juste mes maquettes.» Il aura fallu qu'une autre de ses chansons, Ensemble, joue dans une pub à la télé pour qu'on entende Coeur de pirate sur l'ensemble des radios du Québec.

Au gala des Victoires, la jeune blonde aux tatouages a remercié ses parents qui l'ont «forcée à apprendre le piano», mais aussi tous ses petits amis qui l'ont larguée et lui ont ainsi fourni matière à écrire des chansons. Elle était prête à travailler comme secrétaire pour la maison de disques Grosse Boîte quand le patron Eli Bissonnette lui a trouvé un talent certain à l'écoute de la maquette de Comme des enfants. On connaît la suite.

«C'est vraiment fou, ce qui m'arrive, je ne m'y attendais pas du tout, dit-elle entre deux accès de toux. J'ai encore ma petite vie à moi, avec mes amis et mes musiciens qui sont là depuis le début. On fait de plus gros shows maintenant, mais peut-être que je préfère ne pas le réaliser pour de vrai.»

Elle doit quand même se rendre à l'évidence: «Je ne suis plus la saveur du mois. Ou plutôt, ça va faire trois ans que je suis la saveur du mois!»

Un deuxième album

Après l'euphorie des dernières semaines, Béatrice est un peu retombée sur terre: «Pendant la semaine des Victoires, je n'ai pas arrêté: la promotion, les répétitions... Je ne me plains pas, je fais le plus beau métier du monde, mais j'ai hâte d'avoir un moment de répit.»

Elle brûle surtout d'enregistrer son deuxième album, dont les chansons sont toutes prêtes. «Ça fait quand même longtemps que mon album est sorti au Québec et je sais qu'il y a du monde qui m'attend.» L'ennui, c'est que les Français entendent bien tirer tout le jus de son premier album avant d'en lancer un autre, et il n'est surtout pas question que ce deuxième disque sorte au Québec avant la France. Dans un monde idéal, elle l'enregistrerait à l'automne et le lancerait au début de 2011.

Elle est peinée qu'on ait pu croire qu'elle quitterait le Québec pour s'installer en permanence à Paris avec son copain français. «Je suis tout le temps dans mes valises, je n'ai pas de domicile fixe, corrige-t-elle. Je ne suis jamais à mon appartement montréalais et je me demande même si je ne retournerai pas vivre chez mes parents. Le jour où je vais quitter la France ou le Québec pour de bon, ce sera parce que j'aurai lâché la musique. Et ce jour-là, je ne déménagerai pas à Paris ou à Montréal, mais ailleurs.»

C'est vraiment fou, ce qui m'arrive, je ne m'y attendais pas du tout. J'ai encore ma petite vie à moi.