Sommes-nous plus violents qu'autrefois? Peut-on apprendre à maîtriser son agressivité pour éviter de faire mal aux autres? Comment un tout jeune enfant peut-il jouer sans blesser ses pairs?

Psychologue et professeur de pédiatrie, de psychologie et de psychiatrie, Richard E. Tremblay mène depuis plus de 30 ans des recherches en collaboration avec les chercheurs du Centre de recherche universitaire de l'hôpital Sainte-Justine, ainsi qu'au Centre d'excellence pour le développement des jeunes enfants et au Centre du savoir sur l'apprentissage chez les jeunes. Il codirige également le Laboratoire international de recherches sur le développement de la santé mentale de l'enfance et de l'adolescence de l'Université de Montréal.

 

Les enfants, les dizaines de milliers d'enfants qu'il a étudiés au cours de sa carrière, lui permettent de livrer désormais l'un des messages principaux de son oeuvre: «Tout commence dans le ventre de la mère.»

Son dernier livre, Prévenir la violence dès la petite enfance (publié chez Odile Jacob), lui a valu, à Paris, le prestigieux prix René-Joseph Laufer de l'Académie des sciences morales et politiques de France, prix remis aux deux ans pour un travail qui contribue à la prévention des problèmes sociaux.

Au début du mois de novembre, la présidente du Chili, Michelle Bachelet, a décerné à Richard E. Tremblay l'Ordre du mérite enseignant et culturel Gabriela Mistral. La Presse et Radio-Canada tiennent à souligner la contribution du savant aux peuples du monde en le nommant Personnalité de la semaine.

À l'avant-garde

«Depuis le XVe siècle, on est passé de plus de 40 meurtres par 100 000 habitants à près d'un seul meurtre par 100 000 habitants.» Le psychologue Richard E. Tremblay répond ainsi à ceux qui croient que la violence physique chez les jeunes dans nos sociétés civilisées a tendance à augmenter.

Mais il pose aussi la question: comment expliquer l'engouement pour les contenus violents des médias de la part d'êtres humains qui vivent dans les sociétés les moins violentes de l'histoire? Il émet une hypothèse: «Il me semble que cette inclination pourrait venir du fait qu'ils ont hérité d'une machine biologique sélectionnée au cours de l'histoire pour survivre en attaquant et en se défendant.» Les réponses du chef de file dans le domaine des recherches sur l'enfance et la violence sont multiples et méritent un effort intellectuel et scientifique soutenu. Pour comprendre mais surtout aider les jeunes d'aujourd'hui qui souffrent d'agression chronique. «Il y a un plaisir dans l'agression», explique-t-il en parlant des Romains au cirque, qui regardaient les lions dévorer leurs victimes. En ce sens, ajoute-t-il, les humains n'ont pas attendu l'invention de la télévision pour apprendre à agresser.

La prévention

En 2003, le magazine Time a choisi le professeur Tremblay comme l'un des cinq chercheurs canadiens en médecine dont les travaux exercent le plus d'influence dans le monde. «Ce que je sais aujourd'hui, je le dois à des milliers d'enfants», dit-il. D'abord, précise-t-il, dans une carrière axée sur le comportement des enfants de 6 ans et plus: spécialiste des adultes criminels, spécialiste des adolescents délinquants, spécialiste de l'agression et de la prévention en milieu scolaire. À l'aube de la cinquantaine, il a compris que son parcours scientifique serait imparfait s'il n'allait pas voir du côté de la petite enfance.

Richard E. Tremblay, avec toutes les conférences qu'il donne dans le monde, est bien loin de son lieu de naissance, Barrie, en Ontario. Son père, militaire de carrière, a aussi été joueur de football chez les Roughriders de la Saskatchewan. «Je n'ai rien fait d'autre que du sport jusqu'à l'âge de 20 ans», admet-il. Il a même terminé un baccalauréat en éducation physique, avant finalement d'aborder la psychologie.

Lui-même père de deux enfants, il croit certainement aux vertus du sport comme exutoire à l'agression. «Les jeux agressifs chez les enfants sont l'un des meilleurs moyens d'apprendre à se maîtriser. Jouer à agresser. Mais sans faire de mal aux autres.»

La colère est présente déjà chez les nourrissons. «Les agressions chez les jeunes enfants culminent entre 24 et 48 mois. Les études relatives à la petite enfance rapportent que la très grande majorité des êtres humains ont eu recours à l'agression physique avant l'âge de 24 mois. À l'âge de 2 ans, les filles apprennent mieux à maîtriser leurs gestes d'agression.»

Comment déceler cette réalité des agressions de l'enfant et la traiter, voire la prévenir? «Je pense que l'on doit apporter notre soutien aux jeunes parents dès la première grossesse, particulièrement aux mères, les inciter à ne pas fumer, à ne pas consommer d'alcool, à bien s'alimenter. Continuer de soutenir les enfants et les parents à la maternelle, au début du cycle primaire. C'est là qu'il faut mettre notre énergie, car avec des mesures appropriées on peut changer le cours de leur vie.»