De sa voix à notre oreille, ses modulations, sa sensibilité, sa musique. Des mots - les siens ou ceux des autres. Diane Juster appartient à la race de ces poètes musiciens qui alimentent notre répertoire, qui vivent dans la tête de ceux et celles qui fredonnent tout le temps. Et qui ont besoin de s'entendre raconter de toutes petites histoires sur une belle musique pour alimenter leur mélancolie ou leur joie de vivre. Ce talent-là, Diane Juster l'exerce avec grâce et gravité.

«La fée des droits d'auteur», comme on la surnomme affectueusement, se bat depuis 30 ans pour faire reconnaître les droits des créateurs. Au début du mois, la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec (SPACQ) a remis pour la première fois, par le truchement de sa fondation, 10 prix de 10 000$ à des artistes qui se sont illustrés.

Pour cet esprit de solidarité, son dévouement à la cause, La Presse et Radio-Canada nomment Diane Juster Personnalité de la semaine.

Une bonne bataille

La Loi canadienne des droits des créateurs remontait à 1926 au moment où, en 1980, un groupe d'artistes s'est réuni dans la cuisine de Diane Juster pour jeter les bases d'une plus grande équité. Il y avait en premier lieu Luc Plamondon et Lise Aubut au coeur du mouvement. Se sont joints à eux au cours des premières années les Gilles Vigneault, François Cousineau, Stéphane Venne; plus tard les Sylvain Lelièvre, Pierre Bertrand, Gilles Valiquette, Robert Léger, Frédéric Weber, etc. «Je faisais du café, dit-elle humblement. Beaucoup de café!» Et ce, pendant plus de 10 ans.

Il y a de la musique et des chansons partout. «On a tendance à croire que c'est gratuit, explique Diane Juster, mais il y a à l'origine des mots, de la musique, des créateurs qui se donnent.» Petit retour sur une aberration. En 1980, Diane Juster a obtenu le Félix de la chanson de l'année au gala de l'ADISQ. Ginette Reno avait fait craquer les coeurs en interprétant Je ne suis qu'une chanson. Il y eut 400 000 exemplaires vendus. Et c'est resté un immense succès. L'auteure, Diane Juster, a reçu 2 cents par exemplaire vendu, pour un total de 8000$. «Il fallait bouger, faire du rattrapage», s'exclame en riant Diane Juster. L'indignation de Plamondon a aussi donné le coup d'envoi. Dans la conception de nouvelles règles, elle rend hommage aux artistes français qui les ont conseillés.

Il faut rappeler que la SODRAC, Société du droit de reproduction des auteurs compositeurs et éditeurs au Canada, qui s'occupe de la gestion des droits d'auteur, est née en 1985 dans cette foulée.

Une grande dame

La porte de sa maison est grande ouverte et elle reçoit avec un rire sonore, sa jupe de collégienne en tartan soulignant sa silhouette juvénile, ses souliers rouges, ses 62 ans resplendissants, comme si pour une chanson le temps s'était immobilisé.

Dans l'immense cuisine déjà le café est prêt. Cette fameuse cuisine des grands combats. «Nos soirées étaient folles mais elles ont donné des résultats», dit-elle en souriant. Le lieu est rassembleur, chaleureux et sent bon le plat qui mijote. Elle adore réunir ses amis. «Le secret de notre réussite, c'est l'amitié. Nous formons une grande famille.» L'artiste privilégie le réseau - qui est, selon elle, la clé de voûte de leur succès - ainsi que le charme et la diplomatie pour continuer à convaincre.

«Il est difficile de mettre un prix, une valeur sur l'écriture d'une chanson. Il faut pourtant veiller à ce que toutes les chansons aient leur juste mérite. Elles ne sont pas toutes des tubes, mais elles constituent tout de même notre répertoire. C'est un bien commun.»

Dans les propos convaincants de la pasionaria passent de la douceur et une grande force intérieure. Elle tient son énergie de son père, «un être extraordinaire», et de sa mère, italienne. Réservée, elle est un tantinet sur son quant-à-soi mais s'ouvre avec générosité lorsque la complicité est établie.

Elle confie que, si elle a consacré une grande partie de sa vie à la défense des créateurs, elle garde au fond pour elle-même ce besoin absolu de créer. Durant l'hiver, par exemple, on l'imagine dans sa bulle, au piano, à regarder la mer du Sud et à laisser libre cours à son imagination musicale.

Charlebois, Céline Dion, Johanne Blouin et bien d'autres ont profité de son talent. Elle écrit davantage de musiques que de mots. «Je me fie à mon intuition et je fais confiance à mon jugement. Je vis les paroles. Je dois être en mesure de les traduire intelligemment en musique.» Et l'amour, toute forme d'amour, est sa muse.

Quant au métier de chanteuse sur scène: «J'ai accroché mes patins», dit-elle, tout en laissant une porte ouverte à d'éventuelles et ponctuelles prestations. Elle ajoute: «J'ai eu la chance de travailler avec de grands auteurs. Avec le temps, je suis devenue très exigeante.» C'est un peu une mission, comme celle qu'elle s'est donnée pour les femmes sans abri, une cause qui l'émeut. C'est, selon ses termes, sa «deuxième énergie en marche», un champ d'action où elle va une fois de plus, là aussi, tout donner.