(Québec) La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) est loin d’être en territoire inconnu avec le mandat que lui confie le gouvernement Legault pour trouver le meilleur projet de transport collectif pour la capitale. L’actuel vice-président à l’exploitation de CDPQ Infra, Denis Andlauer, a siégé de 2018 à 2022 au « comité directeur du projet de réseau structurant de transport en commun » de Québec.

M. Andlauer connaît bien Québec : il a été directeur de l’entretien puis directeur des opérations du Réseau de transport de la Capitale, de 2002 à 2009.

Son implication au sein du comité directeur comme « membre externe indépendant » a commencé peu de temps après que le maire de l’époque, Régis Labeaume, a annoncé une première version du tramway. Une version qui avait un tracé différent de celui de l’actuelle mouture du projet et qui comptait également un réseau de trambus au bénéfice de banlieues comme Lebourgneuf — un élément abandonné en cours de route pour des raisons de coûts. M. Andlauer a ainsi été appelé à donner son avis dès le début officiel du projet.

Il a été nommé en 2018 au comité directeur en même temps que Serge Brisson, ancien conseiller de la division ferroviaire et vice-président chez Bombardier. Rappelons que la division ferroviaire de Bombardier (Bombardier Transport) a été achetée par Alstom, dont le plus gros actionnaire est la Caisse de dépôt — la valeur de son placement a plongé depuis 2021.

La Caisse a des sous en jeu dans le projet de Québec puisqu’Alstom a obtenu le contrat pour la construction du « matériel roulant » (les voitures du tramway). Ce contrat est en suspens avec la révision du projet, ce qui suscite bien de l’inquiétude à l’usine de La Pocatière.

Associé au projet

Selon un document explicatif de la Ville de Québec, le comité directeur a pour mandat de « s’assurer de la réalisation du projet selon la portée, le plan de gestion, le budget et l’échéancier établis au dossier d’affaires approuvé par le gouvernement ». Il doit « veiller à ce que les mesures appropriées soient mises en place pour assurer une gouvernance de qualité du projet » et « recommander toute modification nécessaire au plan de réalisation du projet pour assurer l’atteinte des objectifs ».

Selon nos informations, Denis Andlauer participait aux rencontres mensuelles et donnait des conseils pour la réalisation du réseau de tramway. Même s’il n’avait aucun pouvoir décisionnel et que son rôle n’était pas central, il a été associé au projet de la Ville.

Denis Andlauer a cessé son mandat au comité directeur au printemps 2022. Le comité n’a pratiquement plus siégé à partir de ce moment.

À Montréal, M. Andlauer est connu pour son rôle dans la réalisation du REM, un dossier qui occupe le plus clair de son temps.

Le Journal de Québec a rapporté vendredi que Jean-Marc Charoud, aujourd’hui administrateur à CDPQ Infra, avait conclu en 2020 que le tramway était le meilleur mode de transport collectif pour Québec dans un rapport réalisé par sa firme à la demande du gouvernement Legault. Ce dernier voulait un avis externe pour confirmer le choix du mode de transport collectif.

Rentable ?

La Caisse de dépôt et placement revisite aujourd’hui le projet de Québec. En 2016-2017, sous la présidence de Michael Sabia et la vice-présidence de Christian Dubé, elle avait d’ailleurs analysé sommairement l’idée d’un service rapide par bus (SRB) ou d’un tramway dans la capitale. Et Denis Andlauer faisait partie d’un comité consultatif sur le sujet. La Caisse avait conclu que ce n’était pas un projet rentable pour elle.

Cette fois, l’analyse de la Caisse ne se fera pas forcément sous la lorgnette de la rentabilité, ce qui est nouveau pour elle — tous les autres mandats que lui a confiés le gouvernement pour des projets de transport collectif, dans la grande région de Montréal, lui demandaient de statuer si la Caisse voulait s’en occuper, donc si ces projets étaient à ses yeux rentables. Le gouvernement Legault lui demande de trouver le meilleur projet, avec son implication ou non. Il faut s’attendre à ce l’analyse porte aussi sur la desserte des banlieues et l’interconnexion avec Lévis — au moment où le gouvernement prépare une nouvelle mouture du projet de troisième lien.

La Caisse n’a toujours pas reçu de lettre de mandat du gouvernement pour le projet de Québec ; ce ne sera pas avant la semaine prochaine.

Sa filiale CDPQ Infra pilote le REM de Montréal, un train léger électrique et automatisé. Un tel mode de transport nécessite l’aménagement de ce que l’on appelle un site dédié exclusif et protégé — d’où les immenses structures de béton à Montréal. C’est bien différent d’un tramway, qui partage la route avec les automobiles.

« Du monde de Québec » à la Caisse

Lors d’une conférence de presse à Québec, le ministre responsable de la Capitale-Nationale, Jonatan Julien, a voulu répondre aux critiques sur le recours à la Caisse de dépôt, dont le siège est à Montréal, faisant valoir qu’il y a au sein de l’institution « bien du monde de Québec ».

« Jean St-Gelais, le président du C.A., est un gars qui connaît très bien Québec. Charles Emond, un chum d’enfance, est un gars qui vient de Québec. Kim Thomassin… Vincent Delisle, pareil, fils de l’ancienne mairesse de Sillery… Du monde de Québec. La Caisse de dépôt est là pour servir le Québec. Et de présumer que ces gens-là n’ont pas les préoccupations, les connaissances pour bien comprendre les enjeux de Québec, je ne suis pas à cette page-là », a-t-il affirmé.

Maintenant que le gouvernement a décidé de prendre en main le projet de Québec, il faut s’attendre à ce qu’il le confie à sa future agence chargée de piloter les chantiers de transport collectif, voire également les ouvrages routiers majeurs. Le projet de loi de la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, ne sera pas déposé d’ici la fin de la session comme prévu. C’est reporté au début de l’an prochain, ce qui signifie une adoption d’ici la fin du printemps. De son côté, la Caisse dispose de six mois pour remettre ses conclusions au gouvernement.

Avec la collaboration de Gabriel Béland, La Presse