(Québec) Les quelque 500 000 touristes qui visitent bon an, mal an la bucolique ville de Percé n’auront plus à payer une redevance touristique récemment mise en place par la municipalité gaspésienne, si on en croit une décision de la Cour supérieure.

Ce qu’il faut savoir

Percé a mis en place en septembre 2021 une redevance de 1 $ par tranche de 20 $ dépensés par les visiteurs dans les commerces de son territoire.

Plusieurs commerçants mécontents ont porté l’affaire devant la Cour supérieure.

Les municipalités n’ont le droit d’imposer des redevances que depuis 2017, mais la décision de la Cour supérieure rappelle que la marche à suivre est balisée.

Les commerçants de Percé opposés à la redevance ont finalement eu gain de cause. La juge Isabelle Germain vient de conclure que la municipalité a outrepassé ses pouvoirs et contrevenu à la Loi sur les cités et villes avec son règlement imposant une redevance de 1 $ par tranche de 20 $ dépensés par les visiteurs.

« On est soulagés. Tout ce combat n’aurait jamais dû avoir lieu », note le porte-parole du comité de citoyens et de commerçants de Percé, Jonathan Massé. « On ose espérer qu’ils vont respecter le jugement, réviser leur façon de faire et cesser d’imposer ça aux commerçants. »

Selon lui, la municipalité a « démonisé les commerçants » et s’est obstinée à défendre sa redevance malgré l’opposition de plusieurs d’entre eux. La mairesse, Cathy Poirier, n’a pas voulu les rencontrer, dit-il. Ce climat malsain aurait « nui à l’image de Percé ».

« Est-ce que la Ville va utiliser les sommes perçues pour dédommager les commerçants ? Parce que nous, on a encouru des frais pour aller devant le tribunal », affirme M. Massé, qui précise que près de la moitié des commerçants de Percé ont refusé de prélever la redevance.

La Ville de Percé n’a réagi qu’en fin de journée par le biais de la firme de relations publiques TACT. La municipalité « prend acte du jugement ». « La Ville est à procéder à une analyse plus approfondie de cette décision afin d’évaluer les suites qu’elle entend y donner. Une communication publique sera effectuée à ce sujet dans les prochains jours », peut-on lire dans le bref communiqué.

Une décision à sens unique

Cette affaire était suivie avec intérêt par des municipalités de tout le Québec, qui cherchent à augmenter leurs revenus grâce à de nouveaux pouvoirs obtenus en 2017.

C’est le cas de Percé, qui reçoit un demi-million de touristes chaque année, attirés notamment par son célèbre rocher. La ville de 3100 habitants doit entretenir une panoplie d’infrastructures pour accueillir tous ces gens. À l’hôtel de ville, on cherche des moyens pour augmenter les revenus.

La municipalité a donc décidé en septembre 2021 de mettre en place une redevance touristique. La première mouture du règlement invitait les commerçants à percevoir 1 $ chaque fois qu’un visiteur achetait pour plus de 20 $ dans leur commerce.

Mais il y a un hic. Selon le tribunal, la loi ne permet pas aux municipalités de transformer unilatéralement les commerçants en percepteurs de redevance. Elle doit avoir leur accord, ce qui n’a pas été le cas à Percé.

« À défaut pour la municipalité de percevoir elle-même la redevance, elle peut prendre une entente avec un tiers ou l’État pour la perception de celle-ci », note la juge Germain.

La Ville de Percé a été mise au courant avant le procès de ce fait par un avis juridique de l’Union des municipalités du Québec (UMQ). Le conseil municipal a donc modifié le règlement en juin 2022 pour faire payer les commerçants – les transformer en débiteurs – chaque fois qu’un visiteur déboursait plus de 20 $ dans leur commerce. Le commerçant était donc libre de refiler la redevance aux touristes, mais n’était pas obligé de le faire.

Cette modification n’a pas convaincu la juge, qui la considère comme « purement cosmétique ».

« La redevance est définie au Larousse comme une ‟somme due en contrepartie de l’utilisation d’un service public”. Or, il apparaît clair que ce ne sont pas les commerçants qui utilisent les services publics visés, mais bien les visiteurs », peut-on lire dans la décision datée du 16 juin.

« C’est la présence des nombreux visiteurs à Percé qui crée le besoin d’infrastructures touristiques et non la présence des commerçants », ajoute la juge.

Des pouvoirs récents

L’UMQ a indiqué lundi qu’elle « va analyser la décision de la Cour supérieure et ses répercussions juridiques pour les municipalités », mais n’a pas voulu commenter davantage le dossier pour l’instant.

Plusieurs municipalités cherchent des moyens de tirer davantage de revenus du tourisme. La municipalité des Îles-de-la-Madeleine réfléchit par exemple à la possibilité d’imposer une redevance de 30 $ aux visiteurs dès 2024, laquelle serait récoltée par les transporteurs.

« On n’est pas venus remettre en cause le régime de redevances mis en place par Québec. C’est la manière utilisée par Percé pour aller chercher la redevance qui est en cause », précise en entrevue Tommy Gagné-Dubé, professeur adjoint au département de fiscalité de l’Université de Sherbrooke.

Selon lui, il serait toujours possible pour une municipalité d’imposer une redevance directement aux commerçants ou aux visiteurs. Mais comme le tribunal le rappelle, il est illégal d’imposer une redevance aux visiteurs par l’entremise des commerçants sans l’accord de ces derniers.

Tommy Gagné-Dubé rappelle que Québec n’a donné qu’en 2017 le droit aux villes et villages d’imposer une redevance. « Pour le moment, les municipalités sont beaucoup dans l’essai-erreur, et c’est normal que des municipalités se cassent les dents, dit-il. Les municipalités qui ont lu cette décision vont pouvoir se gouverner en conséquence. »

Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse