Malgré les promesses du gouvernement Legault, des Québécois attendent toujours la fibre optique qui promettait d’amener l’internet à haute vitesse à leur porte. La solution de rechange retenue, le service par satellite Starlink, ne fonctionne pas partout, dénoncent des citoyens.

Si près, si loin

Pendant des années, Michel Darche a attendu que la fibre optique arrive jusqu’à sa maison d’Austin, en Estrie. Il a appris cet automne que Québec avait plutôt opté pour le service Starlink, du fournisseur SpaceX Canada, pour remplir sa promesse électorale de rendre l’internet à haute vitesse accessible à tous les foyers.

Comme le conseille le site de Starlink, Michel Darche a utilisé l’application du fournisseur « pour déterminer le meilleur emplacement pour le dispositif ».

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Michel Darche montre l’application de Starlink qui permet d’évaluer la qualité de la connexion avec les satellites du géant américain.

« On est montés sur le deuxième toit et on n’a pas trouvé d’endroit où on pouvait installer la fameuse coupole. Ce n’est pas évident, on est entourés d’arbres beaucoup plus hauts que la maison », explique M. Darche.

Lison Couture, dont la maison se trouve un peu plus bas sur le chemin Clark à Austin, n’a même pas pu faire le test.

« On ne peut pas monter sur la maison, c’est trop haut, il faudrait faire venir quelqu’un. On ne veut pas engager des frais sans aucune garantie que ça va fonctionner », dit Mme Couture, dont la maison est également entourée de grands arbres.

Sa voisine Hélène Pâquet, qui ne veut pas s’aventurer sur son toit non plus, s’est finalement risquée à commander la trousse de Starlink lorsqu’une connaissance a offert de tenter une installation. « Je ne pourrai pas dire que je n’ai pas essayé », soupire Mme Pâquet.

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Hélène Pâquet à son bureau à domicile

Les trois voisins habitent à une quinzaine de minutes du centre-ville de Magog. Ils font partie des milliers de Québécois pour lesquels le gouvernement Legault a retenu Starlink, afin de donner accès à l’internet à haut débit avant la fin de son premier mandat.

Québec paie la trousse de Starlink (750 $ +taxes), le résidant doit assumer sa livraison (environ 75 $) et son installation (que plusieurs citoyens effectuent eux-mêmes). Québec fournit aussi un soutien financier de 40 $ par mois, pour ramener l’abonnement mensuel à 100 $.

Le gouvernement Legault a réservé la capacité et l’équipement nécessaires pour servir 10 000 foyers, et pris une option pour 5000 supplémentaires.

La solution Starlink « est d’abord destinée à quelque 8000 foyers orphelins » où « le coût pour les relier à un réseau filaire était trop élevé pour correspondre à une saine gestion des fonds publics, ou encore, là où aucune entreprise ne s’est montrée intéressée » par la réalisation des travaux, nous a indiqué le ministère du Conseil exécutif (MCE) par courriel.

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Résidences du chemin Clark, à Austin

Les trois voisins du chemin Clark ont appris qu’ils étaient du lot en septembre. Ils sont d’autant plus furieux que l’arrivée de la fibre optique leur avait été confirmée avant les élections, montrent les courriels qu’ils ont fait suivre à La Presse.

« Votre foyer est visé par un projet de connectivité avec Cogeco subventionné par le gouvernement du Québec dans le cadre de l’un de ses programmes. La date prévue de fin des travaux est le 30 septembre 2022 », a écrit le ministère du Conseil exécutif à Mme Pâquet le 21 juin. « L’entente pour le chemin Clark à Austin a été conclue mardi le 21 juin dernier », lui a précisé le MCE le 27 juin.

Le fournisseur a l’obligation de faire l’inventaire des foyers admissibles et de « couvrir à 100 % le territoire », a indiqué par courriel le député Gilles Bélanger, adjoint parlementaire au ministre des Finances pour la connectivité et député de la circonscription d’Orford, dans laquelle se trouve Austin.

Selon Cogeco, les foyers du chemin Clark « seront bel et bien desservis par la fibre », mais n’étaient pas couverts par des ententes et subventions qui leur auraient permis de l’être avant le 30 septembre. Ils « seront desservis dans le cadre du volet Éclair 3, actuellement en discussion avec le gouvernement », nous a indiqué une porte-parole de Cogeco, Anastasia Unterner, par courriel au début novembre.

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L’apparition de ces fanions avait suscité l’espoir des résidants de voir la fibre optique arriver sur le chemin Clark.

Le volet Éclair 3 a été lancé en novembre 2021 dans le cadre de l’Opération haute vitesse, et « tous les projets financés par l’Opération haute vitesse devront être terminés d’ici le 30 septembre 2022 », avait pourtant annoncé le cabinet du premier ministre dans un communiqué au début de mai dernier.

Neuf adresses sont touchées, disent les voisins rencontrés.

Ce n’est pas la campagne à Saint-Meumeu ! Ça n’a pas d’allure, surtout qu’ils sont au coin de la rue.

Michel Darche

La fibre optique est en effet tout près. Le début du chemin Clark, près du chemin North, à moins d’un kilomètre de chez Mme Pâquet, est servi depuis des années.

« Ils sont là avec les trompettes et les millions : où est allé notre argent ? », s’indigne Mme Pâquet.

En attendant, ses voisins et elle continuent donc à se débrouiller sans l’internet à haute vitesse.

Mme Couture et son conjoint, qui travaillent tous deux dans le secteur financier, ont trois abonnements en parallèle (deux soucoupes de l’entreprise Xplore et un système de Telus) afin que « l’un bascule sur l’autre quand l’un est trop lent ». C’est un pis-aller. « Si on est 75 sur un appel, c’est notre image qui est la plus floue. Quand on a des réunions vraiment importantes, on retourne en ville », dit Mme Couture.

  • Deux à trois fois par hiver, Hélène Pâquet doit grimper dans son échelle pour déglacer sa soucoupe du fournisseur Xplore afin de retrouver un signal internet.

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    Deux à trois fois par hiver, Hélène Pâquet doit grimper dans son échelle pour déglacer sa soucoupe du fournisseur Xplore afin de retrouver un signal internet.

  • Deux coupoles du fournisseur Xplore se trouvent sur le toit.

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    Deux coupoles du fournisseur Xplore se trouvent sur le toit.

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Mme Pâquet, qui est traductrice et réviseure, a installé son bureau dans la pièce qui capte le mieux le signal de sa soucoupe Xplore, mais la lenteur du service l’oblige souvent à travailler ailleurs, dans des espaces loués ou chez des proches.

M. Darche et son conjoint, qui sont retraités, s’en tiennent à leurs cellulaires. « On a essayé Zoom dans le temps des Fêtes, ce n’était pas un succès, on en perdait beaucoup. »

« C’est long longtemps » : plusieurs régions sont touchées par les retards

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Dans la MRC de Brome-Missisquoi, plus de 4000 adresses sont en attente d’être connectées au réseau de fibre optique, sur près de 13 000 adresses que doit servir le fournisseur lHR Télécom.

À Bolton-Ouest, en Estrie, obtenir l’internet à haute vitesse par la fibre optique, « c’est long longtemps », témoigne Robert Gagné, professeur à HEC Montréal.

« La fibre passe devant ma porte depuis l’hiver dernier. En bas de notre chemin, c’était à l’été 2021. Là, j’ai une date pour compléter l’installation, mais ça ne me donne pas le service parce qu’il faut qu’une autre équipe revienne. »

Ici comme dans plusieurs municipalités de la MRC de Brome-Missisquoi, la carte du fournisseur lHR Télécom affiche seulement « nouvelle date à venir ».

Le prochain calendrier sera publié le 15 novembre, nous a indiqué la coordonnatrice marketing d’IHR Télécom, Caroline Briand. Sur près de 13 000 adresses que cet organisme sans but lucratif (OSBL) devait servir, plus de 4000 étaient toujours en attente plus de trois semaines après la date butoir du 30 septembre. Cette liste avait toutefois diminué de plus de 640 adresses au début novembre.

Outre les obstacles sur le terrain (délais pour traverser un chemin de fer ou un champ, attente d’infrastructures permanentes), le secteur n’a pas été épargné par la pénurie de main-d’œuvre. « On a rajouté des sous-traitants avec lesquels on n’avait jamais fait affaire, et eux ont bonifié leur équipe », mais « on a tous besoin des mêmes travailleurs », fait valoir Mme Briand.

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Robert Gagné

Il faut saluer le fait que [les élus] ont reconnu l’importance de ce type d’infrastructure et, donc, se sont engagés à la livrer. C’est dans le déploiement que ça a un peu dérapé.

Robert Gagné, résidant de Bolton-Ouest et professeur à HEC Montréal

« Je pense que dans bien des régions, ils ont donné le contrat à des entreprises qui n’avaient pas l’expertise ni les reins assez solides », estime M. Gagné, qui dirige le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC.

Aussi dans les Laurentides et dans Lanaudière

Des retards sont aussi observés dans les Laurentides. À l’adresse où vivent les parents de Stéphane Gauthier, à Saint-Hippolyte, Cogeco leur a annoncé sa venue le 22 novembre. « Est-ce que c’est vraiment le 22 novembre ou est-ce qu’ils vont venir le 24, le 25 ? Est-ce qu’ils vont les brancher le 22 novembre ? Hum, je me pose la question », lance M. Gauthier. La carte interactive de Québec prévoit l’arrivée de Cogeco à leur adresse le 31 décembre.

À Saint-Hippolyte, « l’engouement relié à ces connexions a fait en sorte que certains rendez-vous pour connecter le matériel s’étendent jusqu’à la fin novembre », a expliqué une porte-parole de Cogego, Anastasia Unterner, en assurant que « plusieurs autres livraisons sont prévues au cours des prochaines semaines ».

Cogeco a reçu le mandat de connecter « environ 35 000 portes » dans 180 municipalités. Au début novembre, 13 000 l’étaient effectivement. « Nous accélérons la cadence. Durant l’hiver, la majorité des foyers sera progressivement connectée », écrit Mme Unterner.

Subventionner Elon Musk

Suzanne Brouillette, qui habite à Rawdon, dans Lanaudière, a été informée dès juin que sa maison, à 13 kilomètres du village, faisait partie des foyers « désignés comme étant impossibles à desservir avec un service internet à haut débit filaire ou sans-fil fixe terrestre dans un avenir prévisible ». Elle a commandé sa trousse Starlink, mais aurait préféré « une entreprise québécoise ou à tout le moins du Canada », dit-elle. « Elon Musk, je ne suis pas sûre qu’il ait besoin de subventions du gouvernement du Québec pour vivre. »

Mêmes réticences de la part de Michel Darche, en Estrie.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Déjà, en partant, je n’aime pas trop Elon Musk. Monsieur Twitter, je ne suis pas trop de son côté. Je ne vois pas pourquoi on encouragerait encore des Américains.

Michel Darche, résidant d’Austin

Utiliser Starlink pour connecter les foyers non desservis autrement coûtera près de 75 millions de dollars de fonds publics, montrent les chiffres fournis par le MCE. Cela comprend un financement de 59,5 millions « pour réserver la capacité satellitaire et l’équipement pour desservir 10 000 foyers », et jusqu’à 14,4 millions en subventions (40 $ pour 10 000 foyers pendant 36 mois). L’option pour 5000 foyers supplémentaires n’a pas encore été utilisée.

Amendes

Les pénalités aux fournisseurs de télécom qui n’ont pas rempli leurs engagements au 30 septembre pourraient peut-être compenser une partie de ce que coûte Starlink au gouvernement.

Les sommes peuvent atteindre 10 % de la valeur du contrat, pour un maximum de 100 millions de dollars.

« Pour ce qui est des retardataires au 30 septembre, nous sommes à colliger les données », a indiqué par courriel le député Gilles Bélanger, adjoint parlementaire au ministre des Finances pour la connectivité.

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Gilles Bélanger, adjoint parlementaire au ministre des Finances pour la connectivité et député d’Orford

Le Secrétariat à l’internet haute vitesse « poursuit ses analyses d’admissibilité des foyers. Cet exercice est fort complexe », a aussi indiqué le MCE.

Et pour les Québécois n’ayant pas accès à d’autres services que Starlink, la subvention mensuelle de 40 $ sur l’abonnement à Starlink prendra fin en juin 2025. « Donc dans deux ans, si on n’est pas branché, on ne pourra pas avoir de choix de fournisseur. On va retomber au prix habituel de Starlink », soulève Mme Brouillette.

« Il est possible que plusieurs des foyers subventionnés soient à ce moment reliés au réseau filaire », a répondu le MCE en faisant valoir que la couverture avait « beaucoup changé depuis 2020 ». À l’adresse de Mme Brouillette, la carte interactive de Québec mentionne l’OSBL Connexion Matawinie comme « Autre(s) fournisseur(s) projetant desservir cette adresse » le 30 avril 2023.

En savoir plus
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    Nombre de foyers québécois qui bénéficiaient du service Starlink à tarif préférentiel à la fin octobre. Une mise à jour sera publiée dans les prochaines semaines, indique Québec.
    Source : Ministère du Conseil exécutif