L’état de la route 117 et de l’autoroute 15 dans les Laurentides est si déplorable que des maires de la région ont décidé de se substituer au ministère des Transports du Québec pour faire les réparations nécessaires. La mort d’un motocycliste a été un tournant.

« La gang de la 117 » se mobilise

« Si vous n’êtes pas capable de le faire, on va le faire, mais on ne fera pas ça bénévolement ! »

Devant l’inaction du ministère des Transports du Québec (MTQ) pour remédier à l’état déplorable de routes dans leur région, des maires des Laurentides ont choisi de travailler ensemble et de prendre les choses en main.

Il faut dire que les conditions de plusieurs tronçons sont dans un état lamentable. À Saint-Jérôme, le boulevard du Curé-Labelle, dont une bonne partie est sous la compétence du gouvernement du Québec, occupe la troisième position du plus récent palmarès des pires routes du Québec, dressé par CAA-Québec.

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Bon nombre de résidants des Laurentides se plaignent de l’état des routes nationales dans leur région, poussant les élus municipaux à agir.

Certaines portions du réseau, qui auraient besoin de réparations urgentes, compromettent depuis des mois la sécurité des automobilistes et des motocyclistes, comme le début de l’autoroute 15, à Sainte-Agathe, en direction sud, où il faut littéralement faire des zigzags entre des trous géants qu’on ne peut plus qualifier de nids-de-poule.

« Je n’ai jamais vu la route 117 dans un tel état », affirme un employé de la Ville de Saint-Jérôme, qui habite à Mont-Laurier.

Des trous si gros, aussi profonds, sans cônes autour, réparés aussi tardivement, je n’ai jamais vu ça. Dans le parc de La Vérendrye, c’est la même chose.

Un employé de la Ville de Saint-Jérôme

La pression des citoyens

Le mécontentement s’est transformé en indignation quand est survenu un accident qui a fait un mort et une blessée grave, qui serait directement lié au mauvais état de la chaussée, à Sainte-Adèle. La survivante, Johanne Lortie, songe à entreprendre des poursuites contre le MTQ pour négligence criminelle.

« Un jour, le directeur des travaux publics m’a dit : “Ça n’a pas de bon sens, il faut qu’on répare les routes, c’est rendu dangereux, les gens peuvent se blesser gravement” », explique la mairesse de Sainte-Adèle, Michèle Lalonde, qui a envoyé une lettre au MTQ. « Une lettre assez musclée dans laquelle on parle presque de négligence criminelle, dit-elle. D’ailleurs, il y a eu un décès qui a été causé justement à cause des conditions de la route. »

La pression des citoyens a également poussé la mairesse à agir, d’autant que la route 117 passe au cœur de sa ville. Cette insatisfaction est particulièrement visible à la lecture de sa page Facebook où les messages se multiplient pour dénoncer les crevasses et les cratères.

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Trous géants et crevasses : l’état du réseau force parfois les conducteurs à faire des zigzags sur la route.

« Épouvantable, cette route 117 ! écrit Diane Garand. Qu’est-ce que le gouvernement attend pour la refaire une fois pour toutes dans les règles de l’art ? J’ai honte de nos routes. »

« La 15 avec ses roulières ! lance Mireille Giguère. L’auto va tout croche quand on roule là-dedans. En plus, les lignes blanches et jaunes sont effacées. Donc, on a de la misère à garder nos repères le soir quand il pleut. Sur la 117, il y a des nids-de-poule d’une grosseur que vous ne pouvez même pas imaginer. C’est presque criminel de laisser une route dans cet état-là. »

« Aberrant ! »

À la mi-juin, dans le cadre d’une réunion des maires, Michèle Lalonde a lancé l’idée d’organiser une conférence de presse pour mettre de la pression sur le MTQ et dénoncer ses problèmes de communication : « On les appelle, ils ne retournent pas les appels. Tout ce qu’ils font, c’est nous envoyer un numéro de référence avec un accusé de réception. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA VILLE DE SAINTE-ADÈLE

Michèle Lalonde, mairesse de Sainte-Adèle

On a appris qu’il n’y avait que deux équipes de travail pour entretenir 900 km de routes dans notre région. C’est complètement aberrant !

Michèle Lalonde, mairesse de Sainte-Adèle

Plusieurs maires ont accepté de participer à sa conférence de presse, tenue le 30 juin, à commencer par ceux de Sainte-Agathe, Mont-Tremblant, Saint-Jérôme, Prévost et Piedmont.

« Si j’avais pris une semaine de plus pour l’organiser, je pense qu’on aurait été 25, dit-elle. On était quand même une quinzaine de maires, ce qui démontre qu’il y a une préoccupation majeure de la part des municipalités. »

C’est dans le sillage de cet évènement qu’a germé l’idée de prendre en charge les travaux de réfection des routes sous la responsabilité du MTQ, et de refiler la facture au Ministère.

« Saint-Jérôme, on était là, parce qu’on a des réalités identiques à toutes ces villes-là, souligne le maire de cette municipalité, Marc Bourcier. Autrement dit, il y a beaucoup de travaux à faire sur la 117 parce que c’est une route alternative à la 15, qui elle aussi a des carences actuellement. Il y a des crevasses là-dedans, c’est pas le fun pour les conducteurs. Alors, les gens prennent la 117. »

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Des municipalités ont dû par le passé effectuer elles-mêmes des travaux sur des routes nationales traversant leur territoire.

Le maire Bourcier rappelle que des villes ont effectué des travaux urgents sur des routes nationales, dans le passé, sans pour autant être dédommagées.

« Elles ont envoyé la facture au Ministère, mais elles n’ont jamais été payées, révèle-t-il. Alors, on tend la main au Ministère, on est en mode solution. La gang de la 117, en très, très, très grande majorité, on est prêts à faire les travaux. C’est une question de sécurité. »

Ententes de collaboration

Jusqu’ici, ces efforts concertés ont eu des effets limités. Les choses ont bougé… un peu.

« Le MTQ nous a demandé si on était prêts à assumer sept nouvelles responsabilités comme le marquage des routes, l’enlèvement du sable au printemps et les opérations de colmatage des nids-de-poule », précise la mairesse de Sainte-Adèle.

De son côté, le MTQ dit analyser « différentes façons de faire pour permettre à des partenaires, comme des municipalités, de réaliser des travaux sur ses infrastructures, affirme sa porte-parole, Nathalie Nolin. Il y a des ententes qui sont possibles. Il y en a déjà qui sont en cours, surtout pour des travaux d’entretien. »

« Des discussions sont en cours avec des municipalités des Laurentides, ajoute Mme Nolin. Il y a une ouverture pour mettre en place des ententes de collaboration dans certains cas. »

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Johanne Lortie réside dans une RPA depuis sa sortie de l’hôpital, où elle avait été admise après un accident de la route dans lequel elle a perdu son conjoint.

« Le système m’a laissée tomber »

C’était le 1er mai, fin d’après-midi. Johanne Lortie roulait à moto avec son fiancé Martin Labelle sur l’autoroute 15, dans les Laurentides. Elle était assise à l’arrière. Lui conduisait.

L’accident s’est produit dans la sortie 67, sur le viaduc qui mène à Sainte-Adèle.

La voiture qui les précédait a bifurqué vers la droite pour éviter des « nids d’autruche », comme elle dit, avant de revenir vers la gauche pour prendre la route 117 en direction sud. M. Labelle n’a pas été capable de l’éviter. Sa moto a percuté l’auto. Sur le coup, sa fiancée et lui ont été projetés dans les airs. M. Labelle est mort. Mme Lortie a fait une chute de plusieurs mètres pour se retrouver en bas du viaduc, en bordure de l’autoroute 15. C’est du moins ce qu’on lui a raconté. Parce qu’elle ne se souvient de rien.

« Je n’ai aucun souvenir. Je me suis réveillée dans ma chambre d’hôpital », raconte-t-elle, dans la chambre de sa résidence pour aînées (RPA) de Saint-Eustache où elle passe le plus clair de son temps depuis le 17 juin, en attendant de retrouver la capacité d’habiter chez elle, à Val-des-Lacs, « au fond des bois », faute d’un endroit plus approprié.

« La seule chose que je sais, c’est que je n’ai plus de mari et que je suis brisée de partout », dit la femme de 57 ans, incapable de marcher.

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Johanne Lortie

Dans l’accident, elle a subi de multiples fractures. « J’ai le bassin fracturé, un fémur pété avec des broches dans la jambe droite. J’ai cinq fêlures dans la colonne que je vais gérer toute ma vie comme des hernies. J’ai les deux genoux finis, aussi, énumère-t-elle. Je n’ai pas de paralysie. Mais j’ai pris la peine de m’entraîner toute ma vie pour avoir une vieillesse en forme. Ça va être quoi, les séquelles ? Je ne le sais pas encore. »

« Négligence totale du MTQ »

Hospitalisée à l’hôpital du Sacré-Cœur, elle a été transférée au bout de 20 jours à l’hôpital de Saint-Eustache, où elle est restée près d’un mois.

Cette designer en architecture, mère de deux jeunes adultes, en veut à l’hôpital de Saint-Eustache qui ne lui a pas trouvé de place dans un centre de réadaptation. « Ils ont jugé que je pouvais me débrouiller seule parce que je pouvais me tenir debout avec une marchette », explique-t-elle. Mais elle en veut surtout au ministère des Transports du Québec (MTQ) qui n’avait pas réparé la route endommagée où son conjoint a perdu la vie, en dépit de nombreuses plaintes.

Le MTQ aurait dû réparer la chaussée il y a des mois. Il a négligé, négligé, négligé. L’enquêteur et le coroner arrivent à la même conclusion : c’est la surface de la chaussée qui est 100 % en cause dans l’accident.

Johanne Lortie

« Ça fait des mois et des mois et des mois qu’il y a des plaintes au sujet de cet endroit-là. C’est de la négligence totale du MTQ. C’est de la négligence criminelle », accuse-t-elle.

Selon Mme Lortie, la configuration de la sortie 67 de l’autoroute 15, à Sainte-Adèle, est problématique. « Ça fait longtemps que c’est censé être changé, insiste-t-elle. Et la chaussée est extrêmement abîmée. On m’a dit par après que les gens évitent de passer par là parce que c’est trop endommagé. Il y a des crevaisons, des bris de suspension… Bien entendu, ils ont colmaté le trou le lendemain de l’accident. »

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La sortie 67 de l’autoroute 15, à Sainte-Adèle

La mairesse de Sainte-Adèle, Michèle Lalonde, ajoute que d’autres travaux ont été faits le 27 juin : « De 3 h du matin jusqu’à 10 h, une équipe de six employés de la Ville a mis sept heures pour colmater tous les trous dans les deux routes du MTQ, qui nous a offert une somme d’argent pour le faire. Je ne peux pas vous dire, par exemple, si la somme d’argent correspond vraiment à ce que ça nous coûte. »

Mais chose certaine, ce n’est pas d’hier que la chaussée est en mauvais état à cet endroit. « Ça fait des années qu’il y a des plaintes, précise la mairesse. Je pense que les trois maires qui m’ont précédée ont tous demandé de refaire les surfaces. »

Mme Lortie songe d’ailleurs à poursuivre le MTQ pour « négligence criminelle » dans ce dossier.

« Je suis brûlée, brûlée, brûlée, confie-t-elle. Et je suis dans une RPA avec des vieilles personnes séniles. Je suis démolie parce que le système m’a laissée tomber. »

En savoir plus
  • 660 km
    Longueur de la route 117, qui relie la région de Montréal aux régions des Laurentides, de l’Outaouais et de l’Abitibi-Témiscamingue
    Source : ministère des Transports du Québec
    323 millions
    Somme que compte investir le ministère des Transports du Québec dans les routes des Laurentides au cours des deux prochaines années, notamment à Sainte-Agathe-des-Monts, Ivry-sur-le-Lac et Mont-Blanc
    Source : ministère des Transports du Québec