Alors que d'autres municipalités sacrifient leur patrimoine, Saint-Hyacinthe a investi dans l'acquisition d'édifices religieux. La ville bénie de la préservation ? Pèlerinage à 30 minutes de Montréal.

Les énormes globes, l'un terrestre et l'autre céleste, de la taille d'un ballon d'exercice, ont été achetés à Londres en 1837.

Supportés par des piétements en bois ouvré, ils sont exposés dans une vitrine, au rez-de-chaussée du vieux Séminaire de Saint-Hyacinthe.

« Ça vaut entre 35 000 et 70 000 $ », annonce Bernard Auger, bibliothécaire du séminaire, qui passe au même moment. « Dollars US », précise- t-il.

Combien ont-ils été payés ?

Pour trouver la réponse, il se rend dans son bureau et farfouille dans un classeur, dont il extrait la photocopie d'une vieille lettre expédiée de Londres.

Il déchiffre : 627,50 livres.

« Faudrait voir à combien ça correspond de nos jours. »

Aucune idée.

Mais l'important est de savoir que les deux globes sont préservés, tout comme l'édifice qui les contient.

La veille, le 22 mai, la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe a annoncé qu'elle consacrait à l'achat et à l'aménagement de l'aile centrale du séminaire une bonne partie des 35,5 millions que le gouvernement lui avait accordés en 2018 pour la construction d'une nouvelle école secondaire.

De son côté, la Ville de Saint-Hyacinthe acquiert pour 1 million de dollars le vaste parc boisé qui s'étend devant l'édifice. La municipalité en fera un des pôles de la promenade de 2,4 km qui courra le long de la rivière Yamaska.

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Un globe terrestre du 19e siècle est exposé dans une vitrine, au rez-de-chaussée du vieux Séminaire de Saint-Hyacinthe.

« Ce serait peut-être un genre de solution dans les municipalités où c'est possible, quand c'est trop petit et que c'est plus difficile : deux organismes, deux institutions, qui ensemble se partagent un coin patrimonial », commente Luc Cordeau, directeur général du Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe et fervent défenseur du patrimoine local.

Que se passe-t-il à Saint-Hyacinthe ?

Alors que Berthierville a accordé sans état d'âme un permis à un promoteur immobilier pour la démolition de son monastère des Moniales, la municipalité maskoutaine a acquis au cours des dernières années trois édifices religieux patrimoniaux pour en assurer la préservation.

Le parc du Séminaire est sa plus récente contribution.

« On s'est dit : un plus un égale deux », exprime la directrice des communications de la Ville de Saint-Hyacinthe, Brigitte Massé, dans une métaphore scolaire de circonstance.

« Premièrement, on gardait une infrastructure dans la communauté avec la même vocation, on préservait le patrimoine, et on concentrait toutes les fonctions d'enseignement dans un même lieu. La Ville est arrivée comme entremetteuse dans le dossier. »

Des gens et des trésors

Fondé en 1811, le séminaire a été remanié au fil des incendies et des reconstructions. L'édifice actuel est constitué d'un quadrilatère entourant une cour intérieure, où s'ouvre une vaste chapelle néogothique.

En cette fin de matinée, une alléchante odeur de sauce à spaghetti flotte dans l'air. Le dîner sera bientôt servi : de vieux prêtres achèvent leur séjour terrestre dans l'aile centrale du séminaire.

« J'ai fait mon cours ici en 1944, j'ai enseigné ici pendant 40 ans à partir de 1952 », informe spontanément un vieil homme vêtu d'un polo opportunément bleu ciel, qui se déplace derrière son déambulateur avec une lenteur solennelle.

À la suite de la transaction du 22 mai, les ecclésiastiques vieillissants se replieront dans l'aile sud du séminaire. « À l'automne 2020, ils vont quitter l'aile centrale, indique Luc Cordeau. Ça va devenir des classes sur les cinq étages. »

L'édifice recèle des trésors, comme sa riche bibliothèque de quelque 200 000 livres. Le bibliothécaire Bernard Auger estime sa valeur entre 10 et 15 millions. « C'est parce qu'on en a 19 000 qui sont plus vieux que 1870. Le plus ancien date de 1511. » Une Bible, comme il se doit.

Le Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe est lui aussi hébergé dans le vieux séminaire.

« Je trouve que la Ville de Saint-Hyacinthe veut vraiment aider au patrimoine bâti, exprime son directeur Luc Cordeau. Par contre, c'est comme partout ailleurs au Québec. Ça a pris du temps avant que les élus se décident. »

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Le corps central du Séminaire de Saint-Hyacinthe a été acheté par la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe.

Occasions ratées

« La volonté du patrimoine à Saint-Hyacinthe, une volonté vraiment claire de dire : on s'en préoccupe, on veut préserver des choses, est apparue autour des années 2000 », relate Michel Robidoux, directeur des loisirs de la Ville.

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Luc Cordeau, directeur général et archiviste du Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe

Mais la concrétisation de cette volonté est en partie issue d'occasions ratées et de pertes patrimoniales. « La Ville en a échappé et la Ville en a attrapé, commente Martin Bourassa, rédacteur en chef du Courrier de Saint-Hyacinthe. Au bout du compte, ils ont quand même une pas pire moyenne. »

C'est l'incendie de la maison Dessaulles qui a avivé la flamme patrimoniale.

Construite en 1860 par le premier maire Georges-Casimir Dessaulles, elle avait été la proie des flammes à l'automne 2010, mais il y avait espoir de sauver le bâtiment. Malgré les pressions citoyennes, la Ville avait laissé le propriétaire raser les vestiges, le 5 juillet 2011.

Ce fut un tournant. « Ça a contribué à sensibiliser notre conseil et à être plus proactif », reconnaît Brigitte Messier.

Le destin de la maison Dessaulles était à peine consommé que la Ville prenait une décision fondatrice : à l'automne 2011, elle a acquis le vieux couvent de la Métairie.

Un chapelet d'acquisitions

Enchâssé dans son puits vitré, l'escalier d'acier blanc contraste vivement avec le bâtiment en briques rouges auquel il est accolé. C'est voulu.

L'ancien couvent de la Métairie, agrandi d'une aile moderne, forme depuis 2014 le Centre culturel Humania Assurance.

Reconstruit en 1899 après moult incendies - un sort qui semble récurrent dans l'histoire religieuse maskoutaine -, le couvent de la Métairie appartenait à la congrégation des Soeurs de la Charité de Saint-Hyacinthe. Elles avaient conclu vers 2008 une entente avec un promoteur immobilier qui voulait raser l'édifice pour construire des condominiums.

Le conseiller municipal de l'endroit a alors lancé une croisade de préservation.

Après de longues péripéties, le conseil municipal, à l'unanimité, a définitivement bloqué la démolition à la fin de l'été 2011. Quelques mois plus tard, la Ville s'entendait avec le promoteur pour l'acquisition du couvent et d'une partie de la propriété, au prix de 2 millions de dollars.

La Ville faisait ainsi d'une vieille pierre deux coups.

« Le centre culturel, dans l'autre section de la ville, était en train de tomber à terre, si on peut dire, et il fallait le relocaliser », décrit le directeur des loisirs, Michel Robidoux.

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Le Centre culturel Humania Assurance intègre l'ancien couvent de la Métairie des Soeurs de la Charité.

Le budget du projet s'est élevé à 9,5 millions, auquel la société Humania Assurance a contribué en y associant son nom pendant 15 ans pour 300 000 $.

« C'est plus qu'une construction simple sur un terrain simple où on part de zéro, mais les gens étaient prêts, constate la directrice des communications, Brigitte Massé. Il n'y a pas eu d'enjeu dans la communauté. »

Le rédacteur en chef du Courrier de Saint-Hyacinthe, Martin Bourassa, n'a pas le même souvenir. « Il y a l'endroit qui ne faisait pas l'unanimité - trop éloigné du centre-ville - et le montant : la Ville a présenté un coût plus bas, mais tout le monde était convaincu que ça allait coûter plus cher. »

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Michel Robidoux, directeur des loisirs de la Ville de Saint-Hyacinthe, et Brigitte Massé, directrice des communications, dans le choeur de la chapelle du monastère des Soeurs adoratrices du Précieux-Sang

Le temps et le résultat ont effacé critiques et réticences. Le centre héberge maintenant une quinzaine d'organismes socioculturels.

Le précieux monastère du Précieux-Sang

« L'achat du couvent des Adoratrices, ça s'est bien fait, ça n'a pas soulevé de controverse, bien au contraire, constate tout de même Martin Bourassa. C'était un joyau qu'il fallait préserver. »

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Le centre Humania héberge maintenant une quinzaine d'organismes socioculturels.

Le monastère des Soeurs adoratrices du Précieux-Sang - adoratrices, donc contemplatives, et par conséquent cloîtrées - est un sobre édifice de briques rouges construit entre 1871 et 1876, sur les plans du célèbre architecte religieux Victor Bourgeau.

C'est un vrai monastère.

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Le monastère des Soeurs adoratrices du Précieux-Sang

Au troisième étage, une cellule a été conservée en l'état. Elle n'a droit qu'à une demi-fenêtre : la cloison qui sépare les deux cellules contiguës vient s'appuyer contre le croisillon central.

Un étroit châlit en fer noir supporte un moelleux sommier de planches, surmonté d'un matelas de trois centimètres d'épaisseur, qui offre tout le confort d'une paillasse.

La Ville avait acquis l'édifice en 2013 pour la très modique somme de 500 000 $, versée en cinq tranches annuelles de 100 000 $. Il était convenu que les soeurs occuperaient les lieux jusqu'en 2018.

« Les trois dernières soeurs ont quitté en septembre 2018 », informe Michel Robidoux.

Un projet de musée a flotté dès 2013 dans les airs séraphiques de l'endroit, mais c'est l'annonce que la Fédération régionale des caisses Desjardins libérait son siège social, juste en face, qui a scellé le sort des lieux.

En 2017, la Ville a acheté l'édifice commercial - un long parallélépipède de verre bleu sans le moindre intérêt patrimonial - pour 8,7 millions, afin d'y relocaliser sa bibliothèque.

La municipalité a alors eu la vision d'un pôle de culture au centre-ville, auquel elle associerait le monastère acquis quatre ans auparavant. Elle y logerait le Centre d'histoire et les archives de Saint-Hyacinthe.

Le dernier grain de ce chapelet culturel serait fourni par l'église Notre-Dame-du-Rosaire, dont les jours liturgiques étaient comptés.

L'église Notre-Dame-du-Rosaire

Propriété des Pères dominicains qui avaient reçu la charge de la paroisse, la plus vieille église de Saint-Hyacinthe a été construite en 1861.

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Une cellule monacale, préservée en l'état

« Il y a à peu près un an et demi, les pères ont levé le drapeau : on se prépare à quitter. La Ville a rapidement mis la main dessus », relate Michel Robidoux.

En octobre 2017, la municipalité a acquis l'église et la petite chapelle dominicaine qui la jouxte pour 249 000 $. « La première prise de possession est prévue cet été, poursuit le directeur des loisirs. La dernière messe est au mois de juin. »

Pour compléter le Pôle culturel maskoutain, l'église accueillera le nouveau Musée d'art contemporain et du patrimoine régional, issu de l'actuel centre d'exposition Expression.

« Un des défis, au-delà de la structure du bâtiment qu'on est en train d'évaluer, c'est qu'il y a des corps. »

Pas des corps de bâtiment : des corps dans le bâtiment. Plusieurs sépultures, pour beaucoup anonymes, sont réparties dans l'édifice. On ne sait pas encore ce qu'il en adviendra.

La résurrection patrimoniale est parsemée d'obstacles.

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L'église Notre-Dame-du-Rosaire