Trois fois moins d'événements haineux ont été rapportés à la police de Québec en 2018 par rapport à l'année précédente, un renversement de tendance, puisque leur nombre avait bondi dans la foulée de l'attentat à la Grande Mosquée.

Les années 2016 et 2017 avaient en effet été particulièrement éprouvantes pour la communauté musulmane de la capitale, cible d'une proportion importante de ces événements, selon la police.

En juin 2016, une tête de porc a été trouvée devant l'entrée du lieu de culte situé dans l'arrondissement de Sainte-Foy. Puis des mois après l'attentat, en août 2017, un incendie criminel a ravagé la voiture de l'ancien président du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ). Des excréments ont été lancés sur la mosquée quelques jours après cet incendie.

Ces événements avaient alarmé le maire de Québec. « À vue de nez comme ça, c'est extrêmement préoccupant. Il y a addition de gestes haineux », avait prévenu le maire Régis Labeaume en août 2017.

Le nombre de signalements pour des événements haineux était passé de 58 en 2016 à 79 en 2017. La situation s'est calmée en 2018 avec 27 événements haineux rapportés à Québec.

Cette baisse importante est toutefois accueillie avec circonspection par les spécialistes, qui se demandent s'ils s'expliquent par une amélioration du climat ou par d'autres facteurs plus subtils.

« L'hypothèse principale que je retiens, c'est l'effet médiatique : 2017 a mis la loupe sur ces gestes haineux, et les gens ont senti la responsabilité de rapporter ça aux autorités. Mais ce sentiment s'étiole en 2018. »

- Benjamin Ducol, responsable de la recherche au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV)

L'attentat comme piste d'explication

« Il faut toujours être prudent dans l'évaluation que l'on fait de ces statistiques », prévient le capitaine Jean-François Vézina, du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ). « Je ferais un parallèle avec les cas d'agressions sexuelles : quand on voit une grande médiatisation d'un cas, on voit une augmentation des dénonciations », rappelle-t-il.

La nuance est importante : les chiffres de la police parlent d'événements haineux rapportés. Ceux qui ne le sont pas ne viennent pas grossir les statistiques. « Ça se peut aussi qu'il y ait un "chiffre noir". Une non-dénonciation qui puisse aussi expliquer une baisse », admet le capitaine Vézina.

Le choc créé par l'attentat à la grande mosquée a probablement marqué les citoyens en 2017. « Après la vague #metoo, les agressions sexuelles ont été beaucoup plus rapportées aux autorités policières, mais ça ne veut pas dire que du jour au lendemain, il y en avait plus », illustre Benjamin Ducol.

La répression fonctionne ?

Et si les crimes haineux étaient en baisse parce que la répression fonctionne ? Plusieurs cas de menaces et de crimes haineux ont été médiatisés en 2018. Leurs auteurs ont parfois vu leur nom et leur visage dans les journaux. En mai, le procès d'un arboriculteur de 21 ans pour des propos haineux envers les musulmans tenus sur Facebook au lendemain de l'attentat s'est déroulé. En avril, un homme de Québec a été arrêté après avoir laissé un message menaçant sur la boîte vocale d'une mosquée de Montréal.

« Les gens, sachant que les services de sécurité sont sur le pied d'alerte, qu'ils ne laissent rien passer, font attention. On a dit à la population de dénoncer aussi. Les gens savent que la police sera très vigilante et ça a calmé tout le monde. »

- Boufeldja Benabdallah, président du CCIQ

Un rejet de la haine

La police n'est pas la seule à s'attaquer aux gestes haineux. D'autres institutions ont haussé le ton depuis l'attentat, comme la classe politique ou des établissements d'enseignement.

En novembre, quatre joueuses de basketball ont par exemple été suspendues par le cégep de Sainte-Foy. La direction leur reprochait d'avoir tenu des propos islamophobes - « Fuck les musulmans, man ! Tous des terroristes » - dans une vidéo qu'elles ont produite. Les élèves ont plaidé la blague de mauvais goût. Mais la direction a tenu le cap. « Les propos tenus dans cette vidéo sont contraires aux valeurs de respect, d'accueil et d'ouverture de l'autre véhiculées par le Cégep et par le programme sportif des Dynamiques », a tranché l'établissement.

« Le message que ça envoie, c'est que ce n'est pas toléré ni par la police ni par les institutions », note le capitaine Vézina.

« Depuis l'attentat à la mosquée de Québec, il y a eu un discours assez clair, notamment du maire Labeaume, sur le fait que ces actes n'étaient pas tolérés à Québec, rappelle Benjamin Ducol, du CPRMV. Ça a envoyé le message à certaines personnes qu'elles ne peuvent pas faire ça. »