Florent Gagné doit gérer la tutelle de Laval, une ville gangrenée par la collusion, alors qu'il en a ignoré lui-même les symptômes lorsqu'il était au ministère des Transports. Son inaction lui a valu, en 2009, le blâme du vérificateur général du Québec.

L'histoire est remontée à la surface hier sur la colline Parlementaire, mettant sur la défensive le ministre des Affaires municipales, Sylvain Gaudreault. Ce dernier a défendu la nomination de M. Gagné comme administrateur de la tutelle de Laval même si le Parti québécois avait vertement critiqué, en 2009, l'attitude du sous-ministre du ministère des Transports (MTQ), qui avait choisi d'ignorer un rapport d'enquête mettant au jour un cas de collusion, plutôt que d'alerter les autorités policières.

Selon le ministre Gaudreault, ce sont ses prédécesseurs, les libéraux Yvon Marcoux puis Julie Boulet, qui sont responsables de cette négligence. De plus, il dit qu'il n'avait pas cet épisode en tête lorsqu'il a été consulté pour le choix de M. Gagné pour administrer la tutelle de Laval.

«Je n'ai pas de raisons de croire qu'il ne l'a pas fait, a-t-il dit. C'est Mme Boulet qui a laissé dormir le rapport sur son bureau», a déclaré M. Gaudreault.

À la Commission municipale du Québec, on se refusait hier à tout commentaire, soulignant toutefois que la nomination de Florent Gagné avait fait l'unanimité des partis politiques. Joint en fin d'après-midi, M. Gagné a affirmé à La Presse que «c'est factuellement faux» de dire que le rapport d'enquête du MTQ en était un concernant un cas de collusion. Il n'a pas voulu commenter davantage.

C'est pourtant ce qu'a mis au jour le ministère en 2004. Un rapport d'enquête souligne le processus «contaminé» dans au moins deux contrats de déneigement et pour lesquels, écrit-on, «on a clairement essayé d'éliminer la concurrence». Malgré cela, M. Gagné n'a pas cru bon d'envoyer le dossier à la Sûreté du Québec, qu'il avait dirigée quelques années auparavant, ni d'alerter le ministère de la Sécurité publique ou le Bureau de la concurrence.

Il aura fallu une dénonciation, deux ans plus tard, auprès du Bureau de la concurrence concernant une situation où des entrepreneurs du secteur du déneigement se seraient concertés pour fixer les prix, pour que le MTQ transmette le rapport d'enquête.

Mais ce n'est qu'en novembre 2009 que l'affaire fait grand bruit. Le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, remet alors son rapport annuel. Un chapitre complet s'attardait à la gestion de contrats du MTQ: les irrégularités étaient flagrantes, tout comme les situations à risque.

C'est ce rapport du vérificateur général qui sera l'un des éléments à l'origine de la création de l'Unité anticollusion du MTQ, dirigée par Jacques Duchesneau. Quant à M. Lachance, il est aujourd'hui commissaire à la commission Charbonneau, qui analyse depuis trois semaines la Ville de Laval sous toutes ses coutures, y compris le système de collusion orchestré par l'hôtel de ville.

En 2009, Renaud Lachance s'était dit étonné par l'inaction du MTQ et donc, de la décision du sous-ministre Gagné de «tabletter» le rapport d'enquête sur la collusion. M. Gagné avait plutôt choisi d'annuler l'appel d'offres truqué et de relancer le processus d'attribution du contrat.

«Est-ce que c'est du laxisme? Ce n'est pas tant la question que de dire qu'on devrait avoir le réflexe, lorsque quelqu'un nous donne un rapport d'enquête qui dit qu'on a tenté d'éliminer la concurrence, qu'on est une boîte qui donne des contrats et qu'on donne des contrats importants, de prendre la peine d'appeler la Sûreté du Québec ou le Bureau de la concurrence pour continuer les démarches», avait alors affirmé M. Lachance, pour qui M. Gagné «n'a pas fait ce qu'il devait faire».

La ministre choquée

À l'Assemblée nationale, le rapport du vérificateur général avait enflammé les débats, qui avaient tourné à la foire d'empoigne. La chef de l'opposition officielle, Pauline Marois, avait réclamé la démission des deux ministres responsables des Transports, Julie Boulet et Norman MacMillan. Mme Marois jugeait alors ses adversaires politiques «complices» d'un système de collusion qu'ils n'avaient pas dénoncé aux autorités policières.

Se disant choquée par la situation, la ministre Boulet avait répliqué ne pas avoir été informée du résultat de l'enquête menée par le MTQ. De plus, elle n'avait pas hésité à pointer dans la direction du sous-ministre Gagné. «Il n'a pas informé en aucun temps ni le cabinet, ni le ministre de l'époque, M. le Président. Alors, c'est la décision du sous-ministre, qui, je le rappelle, a été un directeur général de la Sûreté du Québec, qui a été sous-ministre au ministère de la Sécurité publique. [...] Il a jugé que les preuves étaient insuffisantes», avait déclaré en Chambre Julie Boulet.

Le lendemain de cette déclaration, la ministre transmettait à la Sécurité publique le rapport d'enquête du MTQ.

Par ailleurs, en 2011, Stéphane Bergeron, qui était alors porte-parole de l'opposition officielle en matière de transports, avait exprimé son malaise face à la nomination de Florent Gagné à la présidence du conseil d'administration de l'Agence du revenu. «Une partie du passé révélé à travers ce rapport du vérificateur général, concernant ce monsieur, m'apparaît un peu inquiétante pour la suite des choses, avait dit M. Bergeron. Si, devant des cas flagrants de collusion, il a préféré garder le silence et ne pas transmettre l'information à qui de droit, qu'est-ce qui nous assure qu'une fois à la tête de l'agence, il sera plus consciencieux?»

M. Bergeron, aujourd'hui ministre de la Sécurité publique, n'a pas répété ses propos. «Je pense qu'on peut dire que son passage à l'Agence du revenu s'est révélé irréprochable, on a pu le regarder à l'oeuvre et je pense que l'évaluation qui a été faite de ses compétences et de son expérience le rendait manifestement tout à fait apte à occuper les fonctions qu'on lui a confiées dans le cadre de la tutelle de la Ville de Laval», a-t-il dit sans toutefois être en mesure de préciser exactement à quoi il faisait référence pour certifier que le passage de M. Gagné était irréprochable.

Pour le porte-parole libéral en matière de sécurité publique, Robert Poëti, les propos prononcés par M. Bergeron en 2011 sont de nature à miner la crédibilité de M. Gagné.

«Ce ministre-là, qui il y a deux jours était député, l'accusait, était mal à l'aise avec lui, aujourd'hui participe à sa nomination à Laval, c'est tout à fait incohérent», a-t-il dit.

M. Poëti croit cependant que la gestion du rapport de 2004 n'est pas un problème pour M. Gagné.

- Avec la Presse Canadienne